Pendant neuf ans, Ginette Bouchard a ignoré l'identité du meurtrier de son père. Et surtout pour quelles raisons on l'avait si froidement assassiné ce jour d'hiver 1999.

Ses questions étaient toutes restées sans réponse, sauf une. Ginette Bouchard a su comment son père avait été tué. Une vision qui l'a hantée chaque jour pendant les trois années qui ont suivi le meurtre.

«Je l'ai imaginé 1000 fois, 10 000 fois, se souvient la mère de famille, qui avait 32 ans lors des événements. Je voyais mon père souffrir, crier, demander de l'aide.»

Le 4 mars 1999, André Bouchard a été poignardé dans son logement de la rue Letourneux, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal. Son assaillant l'a ensuite étranglé avec un fil téléphonique.

André Bouchard, un débardeur à la retraite de 66 ans, n'avait aucun antécédent judiciaire.

«Sa mort m'avait énormément affectée, poursuit Ginette Bouchard. J'étais craintive. Quand on sonnait à ma porte, je cachais un couteau dans ma manche.»

Elle a longtemps soupçonné que le vol pouvait être le mobile du crime. Son père gardait d'importantes sommes d'argent à la maison.

«Il avait peur de plusieurs personnes. Des gens qui pouvaient lui en vouloir pour je ne sais quelles raisons.» André Bouchard avait le pressentiment qu'il serait un jour battu à mort, souligne sa fille.

Près d'une décennie plus tard, Ginette Bouchard pourrait bientôt avoir des réponses à ses questions.

Le meurtre d'André Bouchard est l'une des quatre affaires classées (communément appelées cold cases) que la police de Montréal croit avoir résolues en 2008.

Les quatre crimes auraient été commis dans les années 90 (voir autre texte) par une seule personne : Daniel Poirier, un homme de 49 ans au casier judiciaire bien garni. Il a été accusé de trois meurtres en juin et du quatrième en novembre. Son enquête préliminaire débutera le mois prochain.

Si l'homme est réellement l'assassin de son père, Ginette Bouchard ne souhaite pas le rencontrer. «Je ne lui souhaite pas la mort, la souffrance. Mais je lui ferai ma violence tranquille : l'ignorance. Une ignorance obstinée jusqu'à l'os.»

Cinq mises en accusation

Les enquêtes sur les quatre affaires classées ont mené à cinq mises en accusation: quatre contre Daniel Poirier, et une cinquième contre un présumé complice dans le meurtre d'André Bouchard.

«Pour les mises en accusation, 2008 figure parmi nos meilleures années», a commenté le lieutenant-détective Denis Jr Bonneau, responsable du module des crimes non résolus de la section des crimes majeurs de la police de Montréal. Depuis la création du module, en 2000, 24 accusations ont été portées à la suite de résolutions tardives.

«Et dans les prochaines années, ce chiffre-là va monter, c'est certain», a dit avec aplomb Denis Jr Bonneau en montrant du doigt les statistiques de 2008.

En raison des procès à venir, Denis Jr Bonneau préfère garder secrets les dessous de l'enquête qui a mené à l'accusation de Poirier. Mais selon lui, les corps policiers ont recours à des techniques d'enquête de plus en plus poussées. Particulièrement dans le domaine de la génétique, où les droits des autorités envers les criminels se sont accrus l'année dernière.

Le 1er janvier 2008, des modifications au Code criminel ont augmenté le nombre de personnes admissibles à la Banque de données génétiques, un outil qui permet de lier des criminels à des profils génétiques recueillis sur des scènes de crimes non résolus. Les juges peuvent maintenant demander un échantillon de sang ou de cheveu aux criminels accusés avant la création de la banque, en 2000.

D'ailleurs, le nombre de profils génétiques dans la banque a doublé entre 2005 et 2009, passant de 100 000 à 200 000. Un total qui s'accroît de 600 à 700 échantillons par semaine.

«La banque commence à peine à s'alimenter. À mesure qu'elle va grossir, les liens avec nos cold cases vont se faire», prédit Denis Jr Bonneau. La police de Montréal conserve plusieurs échantillons d'ADN recueillis sur les scènes de crimes non résolus, ajoute-t-il.

Au Canada, plus de 8000 délinquants ont été identifiés grâce à l'ADN depuis 2000. C'est grâce à cette technique que la police de Montréal a mis le grappin il y a deux ans sur Gaétan Bissonnette, le meurtrier de Denise Morelle. La comédienne avait été sauvagement battue et agressée dans un appartement du centre-ville en 1984.

Les six enquêteurs des affaires classées ont encore beaucoup d'assassins à retrouver. Près de 650 dossiers de meurtres non résolus attendent dans les bureaux et les entrepôts de la police de Montréal, dont les plus anciens remontent aux années 60.

Même après toutes ces années, ceux qui croyaient avoir commis le meurtre parfait pourraient bien se tromper...