Estimant que le corps usé de Philippe Hamelin «l'isole de façon plus hermétique que le pire des cachots», le juge André Perreault a imposé au vieillard de 93 ans une peine symbolique de deux ans moins un jour à purger dans la société.

Le vieil homme a reçu cette peine, hier, au palais de justice de Montréal, pour avoir battu et agressé sexuellement à répétition ses deux filles pendant leur enfance et une partie de leur adolescence. Les crimes se sont produits entre 1956 et 1963. Les victimes, Marcelle et Michelle, toutes deux dans la soixantaine aujourd'hui, n'ont trouvé la force de le dénoncer qu'en 2005. Le temps avait fait son oeuvre sur le paternel, qui est maintenant quasi sourd et aveugle, incontinent, atteint d'un cancer de la peau et d'une maladie dégénérative semblable à l'alzheimer qui lui fait perdre progressivement ce qui lui reste d'autonomie. Il vit dans la solitude et l'isolement dans une maison de retraite, et égrène ses jours en écoutant la radio et en récitant son chapelet. Il ne représente plus aucun danger pour la société, a reconnu le juge, avant d'ajouter qu'il n'y avait rien à espérer d'une réinsertion sociale, pas plus qu'une reconnaissance de ses torts.

Si l'accusé avait eu une meilleure santé et peut-être quelques années de moins, il aurait reçu à coup sûr une lourde peine de pénitencier. La procureure de la Couronne France Duhamel demandait de sept à neuf ans. L'avocate de l'accusé, Me Hélène Poussard, reconnaissait que la gravité des crimes commandait une peine de trois à sept ans. Mais elle suggérait une peine avec sursis, à cause de l'âge et l'état de santé de M. Hamelin. Vu les «circonstances exceptionnelles» de l'affaire, le juge Perreault a opté pour cette dernière option. Tassé dans un fauteuil roulant à l'avant de la salle, le regard vide, Philippe Hamelin laissait échapper d'étranges plaintes hier, pendant que le juge lisait sa décision.

Aucun remords

«Il pleurait sur son sort, parce qu'il s'est fait prendre», a commenté sa fille Marcelle, au terme de l'audience. En voyant son père passer près d'elle, la femme de 63 ans a lancé: «C'est la dernière fois que je le vois de mon existence. Je n'irai même pas à son service funéraire. Pour moi, mon père est mort il y a quatre ans, quand il m'a dit qu'il n'avait aucun remords parce que je jouissais quand il me faisait ça (les agressions).»

Sa soeur Michelle n'était pas présente, hier, parce qu'elle ne s'en sentait pas la force, a expliqué Marcelle. Cette dernière tenait pour sa part à être là pour voir le rideau tomber sur cette tragédie qui a empoisonné sa vie. «Je dis aux victimes: faites-le, dénoncez. Ça ne sert à rien d'attendre. Moi, j'ai porté ça pendant 55 ans. Il a eu ma jeunesse, mais il n'aura pas ma vieillesse», a expliqué Marcelle.

En rendant sa décision, le juge a souligné que M. Hamelin, ex-briqueteur, avait hypothéqué la vie de ses filles avec sa violence extrême et les gestes sexuels qu'il leur faisait subir, incluant les plus graves qu'un père puisse commettre avec sa fille. Il a félicité les deux soeurs pour leur courage et leur candeur, et il leur a souhaité de guérir et d'être plus heureuses à l'avenir. Marcelle a bien apprécié. «Le juge a été d'une compassion extraordinaire. On ne fait pas ça pour perdre notre temps. La société a changé. Dans notre temps, on ne pouvait pas parler. Si on en parlait au curé, il nous disait de nous taire.»

Mais certaines choses ne changent pas. «Il y a des petites filles de 5 ans qui vont être agressées, ce soir», a-t-elle lancé, en se demandant ce qu'il faudrait faire.