La mise en accusation de deux membres d'une secte pour polygamie en Colombie-Britannique, la semaine dernière, pourrait bien avoir des conséquences chez nous. La bataille juridique qui s'amorce dans la province de l'Ouest opposera la loi à la liberté de religion, une situation qui a soulevé des craintes au Québec lors de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables.

Après deux décennies d'hésitation, le procureur général de la Colombie-Britannique a inculpé les dirigeants d'une secte dissidente de l'Église mormone. Winston Blackmore est accusé d'avoir épousé 20 femmes, dont certaines n'avaient que 15 ans. Il serait le père d'une centaine d'enfants. James Oler a pour sa part deux épouses. Ils risquent une peine de cinq ans de prison.La Couronne a hésité pendant près de 20 ans avant d'inculper Winston Blackmore. Elle craignait que la loi fédérale soit déclarée inconstitutionnelle, puisque l'accusé invoque le droit de pratiquer sa religion pour justifier ses unions multiples. L'arrestation des deux hommes, qui habitent la communauté de Bountiful, marque le début d'un feuilleton judiciaire qui testera les limites de la loi interdisant la polygamie au Canada.

Info-Secte ne recense aucun groupe religieux pratiquant la polygamie au Québec. Mais son directeur général, Mike Kropveld, explique qu'il n'est pas impossible que certains individus choisissent de le faire. Or, comme les lois qui gèrent le mariage sont les mêmes ici qu'en Colombie-Britannique, une affaire semblable pourrait éclater au Québec.

«Les règles applicables sont exactement les mêmes, explique Me Christian Dufour, avocat montréalais spécialisé en droit de la famille. Le Code criminel est à l'échelle canadienne. La charte des droits et libertés est à l'origine canadienne. Et c'est la loi fédérale qui régit le mariage. Alors le litige qui se passe là-bas peut très bien se retrouver ici.»

L'avocat prévoit une longue bataille judiciaire, qui aboutira sans doute devant la Cour suprême. Mais il croit que la Couronne parviendra à démontrer que les restrictions à la liberté de religion prévues dans la loi - dans ce cas-ci, l'interdiction de la polygamie - sont acceptables dans une société «libre et démocratique». C'est pourquoi Winston Blackmore et James Oler pourraient bien se retrouver derrière les barreaux.

«À première vue, il est raisonnable de penser que la règle, le fait de prohiber le mariage multiple, a des chances de tenir», a-t-il indiqué.

Des groupes féministes québécois ont déjà exprimé des craintes sur la multiplication des unions polygames. L'Intersyndicale des femmes avait notamment soulevé la question devant la commission Bouchard-Taylor.

«Au Québec, la polygamie, l'excision, la violence et les mariages forcés ne peuvent être tolérés au nom de la tradition, avait déclaré la porte-parole du groupe, Dominique Verreault. L'État doit prendre des moyens concrets, en plus des lois, pour empêcher toute atteinte à la dignité humaine et à l'égalité entre les sexes.»

Aucun groupe féministe québécois n'a rappelé La Presse pour commenter l'affaire Blackmore.

Mike Kropveld, d'Info-Secte, estime pour sa part que le gouvernement de la Colombie-Britannique aurait dû s'y prendre autrement. Au lieu de poursuivre les accusés pour polygamie, il aurait dû tenter de les inculper pour abus sexuel contre des mineures. La Couronne n'a pu retenir ces chefs d'accusation, faute de preuve. Car tout indique que les habitants de Bountiful n'ont pas voulu dénoncer Blackmore aux enquêteurs.

«Parce qu'il n'y a pas eu de témoignages, ils n'ont pas poursuivi pour abus sexuel, explique-t-il. S'il y a une loi qu'on devrait faire respecter, c'est bien celle-là.»