Les Hells Angels ont été la cible samedi d'un violent attentat qui a complètement détruit leur légendaire repaire de Sorel-Tracy. Au moment même où les têtes dirigeantes du crime organisé arrêtées au printemps 2001 s'apprêtent à sortir de prison, les experts craignent le début d'une nouvelle guerre entre motards. D'ailleurs, les mauvais présages s'accumulent: la semaine dernière, 1200 kg d'explosifs ont été saisis à Montréal et à Mont-Joli. Des policiers de toute la province sont maintenant sur le qui-vive.

Les Hells Angels ont perdu leur plus important bunker au Québec. Leur repaire de Sorel-Tracy a été complètement détruit, samedi soir, dans un incendie qui pourrait marquer le début d'une nouvelle guerre entre des bandes criminelles. Mais pas dans la petite municipalité du bout de l'autoroute 30. Le maire ne veut plus de leur forteresse au coeur de sa ville.

 

Le fait que l'incendie soit d'origine criminelle ne fait déjà plus de doute. Vers 21h, samedi, des témoins auraient vu un camion-citerne foncer sur le bâtiment, que l'on disait impénétrable. Le brasier a vite pris de l'ampleur et mobilisé plusieurs dizaines de pompiers. Les flammes étaient visibles à des kilomètres à la ronde. Hier matin, le bunker n'était déjà plus qu'un souvenir. Il n'en restait qu'un tas de décombres fumants, de cendres et de métal tordu, sous lequel on a bel et bien trouvé la carcasse du véhicule incendiaire. Nulle trace de son chauffeur, cependant.

Martine Plourde a été réveillée en soirée par des pompiers qui lui ont ordonné de quitter rapidement son appartement. «On m'a dit que tout risquait d'exploser!» a-t-elle confié à La Presse. Une cinquantaine de voisins ont été évacués dans un très large périmètre de sécurité, mais il semble que l'incident aura fait plus de peur que de mal. Les dégâts matériels ont été circonscrits - miraculeusement, ont dit certains - au repaire des Hells, et personne n'aurait été blessé.

La Sûreté du Québec n'a émis aucune hypothèse, hier, sur l'identité des criminels qui ont osé s'attaquer à ce symbole du plus célèbre groupe de motards de la province, ni sur une possible relance des hostilités entre des bandes rivales. Certains observateurs ont suggéré que les motards ont volontairement provoqué l'incendie, mais la thèse du règlement de comptes est loin d'être écartée. La SQ croit que deux autres incendies qui ont eu lieu presque au même moment à Sorel-Tracy sont peut-être liés à cet attentat. Vers 19h30 hier, un édifice abritant des commerces et quelques logements, a lui aussi été la proie des flammes au centre-ville. L'immeuble, une construction de briques récente, serait fréquenté par des membres des Hells Angels.

Puis, vers 1h, le garage d'une maison du chemin Saint-Roch s'est enflammé. Les sinistres n'ont fait aucun blessé et n'ont mené à aucune arrestation mais, dans un cas comme dans l'autre, les policiers penchent sérieusement en faveur de l'acte criminel.

La Sûreté du Québec a d'ailleurs confirmé hier que les sept escouades mixtes de la province ont été mises sur un pied d'alerte. Le repaire des Hells de Charny, près de Québec, a été placé sous étroite surveillance. «Étant donné ce qui s'est passé, on a affecté au dossier tous nos enquêteurs», a dit hier la porte-parole, Joyce Kemp.

Une municipalité secouée

Cet attentat marque la fin d'une époque à Sorel-Tracy. Le maire de la ville, Marcel Robert, a d'ores et déjà annoncé qu'il ne tolérera pas que la forteresse érigée en 1977 soit rebâtie. «On est blindés. La nouvelle réglementation ne permet pas la construction d'un autre bunker dans une zone résidentielle», a-t-il affirmé hier à La Presse.

Les motards ont pourtant des droits acquis. «Ils pourraient se faire un bungalow s'ils le veulent, mais il ne pourra pas être fortifié. Cela ne pourra plus être comme avant», a promis le maire avant de se faire apostropher en pleine rue par un passant. «On l'a échappé belle, cette fois, mais imaginez ce qui se serait passé s'ils avaient utilisé des explosifs? C'est un quartier très populeux!» a fait remarquer Victorien Pilote au maire de Sorel.

La semaine dernière, trois personnes en lien avec les motards criminels ont été arrêtées à la suite de deux saisies de plus de 1200 kg d'explosifs à Montréal et près de Mont-Joli.

«On n'a pas de problème avec les Hells jusqu'à ce qu'il se passe quelque chose comme cela, a ajouté M. Pilote. C'est la preuve qu'il ne faut pas les tolérer en ville.»

«C'est vrai que ce n'est pas rassurant, ce qui s'est passé», a reconnu le maire Robert.

Reste que le ton est généralement plus conciliant envers les légendaires motards. Les curieux ont défilé en grand nombre toute la matinée à l'intersection des rues Prince et Provost, un gamin dans les bras, le sourire aux lèvres. Les mines inquiètes étaient rares. «Le repaire est détruit, maintenant, à quoi voulez-vous qu'ils s'attaquent? S'il y a des représailles, ce n'est certainement pas à Sorel qu'on va les ressentir», a relevé Dominique Boily.

Jean-Pierre Cadieux, qui habite à deux pas du bunker, est même plutôt favorable au retour des Hells. «Ce sont des bons voisins. Ils ne me dérangent pas, ils sont tranquilles. Je ne me suis jamais senti menacé par leur présence.» Sa remise a été abîmée par les flammes. «C'est pas grave, on a des assurances pour ça», renchérit une voisine, Martine Plourde.

«Les savoir dans le coin, c'est un sentiment de protection. Je ne me suis jamais fait voler», ajoute Diane, qui préfère toutefois taire son nom.

Le maire de Sorel, lui, admet du bout des lèvres que la présence des motards n'est pas très bonne pour l'image de sa municipalité. «Qui serait heureux de les avoir à côté de chez soi?»