S'il est élu, Stephen Harper propose de punir plus sévèrement les jeunes qui commettent des crimes graves. Au Québec, cela pourrait vouloir dire que des jeunes de 16 ans et plus risqueraient d'être jugés devant des tribunaux pour adultes et se retrouveraient, peut-être, en prison. Mais que se passe-t-il, actuellement, avec ces jeunes? Ils se retrouvent en centre d'hébergement sécuritaire pendant plusieurs années, où ils passent par un processus de réadaptation. La moitié d'entre eux ne récidive jamais. Et plusieurs s'en sortent pour de bon.

Quand Jean est entré à Cité des prairies pour sa première journée de travail, il n'a pas cherché son chemin dans les interminables couloirs de ce centre d'hébergement pour les jeunes. Il savait parfaitement comment se rendre à l'unité pour les jeunes contrevenants où on l'avait affecté ce matin-là. Il le savait, pour la bonne raison qu'il y avait lui-même habité, huit ans auparavant.

 

Parce qu'à l'époque, il avait tué un homme.

Jean a immigré au Québec à 13 ans. Nous ne dirons pas d'où exactement, pour ne pas l'identifier. Il vient d'une famille unie et très religieuse. En arrivant ici, il s'est éloigné de ses parents. Il s'est fait des amis peu recommandables. Jean a commencé à se promener avec un couteau. Au cas où.

Quatre ans plus tard, il a presque 18 ans. Il joue au basket dans un parc. Un autre groupe de jeunes débarque. «Ils ne me connaissaient pas. Je ne les connaissais pas. Ça a commencé par une histoire de ballon. Ils ont pris ça pour de la provocation. Et c'en était probablement», raconte Jean.

Quelques heures plus tard, à l'arrêt d'autobus, il tombe sur l'un de ces jeunes. La bagarre éclate. Jean sort son arme et le poignarde. Le jeune meurt le lendemain matin. Jean est reconnu coupable d'homicide involontaire.

À l'époque, Jean était exactement le genre de personne que Stephen Harper s'engage, s'il est réélu, à punir plus sévèrement. S'il avait commis son crime sous la nouvelle loi promise par les conservateurs, Jean se serait probablement retrouvé en prison. Tout jouait contre lui. Il avait presque atteint sa majorité au moment de l'acte. Et le crime était très grave.

Mais nous étions à la fin des années 90 et Stephen Harper n'était encore qu'un simple député. Jean a été condamné à trois ans de garde fermée à Cité des prairies, un centre d'hébergement sécuritaire où l'on retrouve deux unités réservées aux mineurs qui ont commis des crimes graves.

«Les premiers mois, j'étais en état de choc. Ce n'était pas la voie que je voulais suivre. Je devais changer.» En trois ans à Cité, il a presque terminé son secondaire. Il s'est impliqué dans toutes sortes de comités. Et il a rencontré Robert, un éducateur. «Il avait une façon de nous confronter qui faisait en sorte que longtemps après, on continuait encore à penser à ce qu'il nous avait dit, seuls dans notre chambre.»

Et puis, il est sorti. Il est entré au cégep en éducation spécialisée. Son diplôme en poche, il a postulé au centre jeunesse de Montréal. À sa première journée de travail, il s'est retrouvé dans son ancienne unité.

En y entrant, il a ressenti une drôle de sensation, où dominait la fierté. «Ça m'a montré que le travail qu'on fait ici, ça donne des résultats.» Aujourd'hui, Jean travaille encore auprès des jeunes en difficulté.

Que te serait-il arrivé en prison, Jean? «Mon cheminement aurait été complètement différent», dit-il simplement. Il n'aurait pas rencontré Robert. Il serait sorti autour de 27 ans, avec une 2e secondaire en poche.

«En prison, non seulement ces jeunes n'auraient pas accès aux méthodes de traitement qui fonctionnent, mais leur tissu social serait formé de délinquants récidivistes membres de gangs de rue. Pendant 10 ans, tu côtoies ces gars-là. Tu es en relation de survie. Tu crées des alliances. Le facteur de risque en matière de récidive augmente de façon exponentielle», souligne Pierre Lefebvre, spécialiste en activités cliniques dans une unité de jeunes contrevenants à Cité des prairies.

Comprendre la raison du délit

Depuis 10 ans, M. Lefebvre travaille précisément avec la clientèle que Stephen Harper vise. Les 60 jeunes contrevenants de Cité sont mineurs et ils sont presque tous liés aux gangs de rue. «Ce sont les gars les plus poqués et les moins réceptifs qu'on peut avoir à Montréal», résume-t-il brutalement.

Au début de leur garde fermée, les jeunes sont examinés sous toutes les coutures. Il faut comprendre pourquoi ils ont commis un délit. «Par exemple, le jeune veut bien paraître devant ses amis en faisant du taxage. Notre ouvrage, c'est de trouver comment il peut combler ce besoin, autrement.»

À Cité, les jeunes vont à l'école «dans les murs». Après les cours, ils suivent des ateliers psychologiques. Comment gérer sa colère? Comment résoudre des conflits? Comment entrer en contact avec quelqu'un? Ce qu'on tente de faire, c'est une «reprogrammation» de leur fonctionnement social.

«Puis, on dresse des contrats comportementaux. Toi, tu dois gérer ton agressivité. Si tu réussis deux fois sur trois, tu as une récompense. Exemple, plus de temps au téléphone. Si tu ne réussis pas, tu as une conséquence. Exemple, en chambre pendant un temps libre. Même le jeune non réceptif va le faire. D'abord, pour le gain», explique M. Lefebvre. Et au final, espère-t-on, il va concrètement se rendre compte qu'il est plus avantageux d'exprimer son désaccord en parlant qu'en frappant.

Est-ce que ça marche? Officiellement, le taux de récidive des jeunes contrevenants qui sortent de Cité est de 50%. Mais Pierre Lefebvre nuance ce chiffre. «Prenons un jeune qui a commis un crime contre la personne et qui se fait prendre, à sa sortie, à fumer un joint sur le coin de la rue. C'est une récidive officielle. Au niveau statistique, on a échoué. Mais on s'entend qu'il y a comme une amélioration.»