D'un seul coup de poing, lors d'une crise de jalousie, Mario Delisle a fracturé la mâchoire de sa compagne en trois endroits. Cinq ans après les faits, un tribunal civil vient de le condamner à payer 290 000$ en dommages à Carole Provost, un jugement apparemment rarissime pour ce genre d'affaire.

«Les gens commencent des poursuites, mais souvent ils abandonnent en cours de route. C'est très exigeant et potentiellement dangereux, je l'admets. Mais je voulais que justice soit rendue. Je voulais que ça fasse jurisprudence pour aider les autres», explique Mme Provost, âgée de 50 ans.

En cour criminelle, Delisle, 47 ans, a plaidé coupable à une accusation de voies de fait ayant causé des lésions et a écopé de six mois de prison pour son geste. Mme Provost, qui garde des séquelles permanentes de l'agression, notamment une paralysie et des difficultés d'élocution en raison d'un nerf brisé, espérait une punition plus lourde. Représentée par l'avocat Jacques Marquis, elle a entrepris cette poursuite civile, de front avec les étapes de sa reconstruction personnelle et de multiples opérations à la bouche. «J'ai dû rebâtir ma confiance personnelle. Mais je ne fais pas pitié. Je ne suis pas une victime. Je suis victime d'un événement», dit celle qui espère pouvoir recommencer à travailler d'ici un an ou deux. Elle ne pourra cependant plus reprendre son ancien emploi, car sa santé ne le lui permet pas.

Tromperie

Le malheureux incident est survenu en août 2003. Le couple, formé six ans plut tôt, battait de l'aile depuis déjà un certain temps, selon Mme Provost, car Delisle était d'une jalousie maladive. Il lui reprochait même de prendre sa douche avant d'aller au travail. Lui était journalier, et elle travaillait de nuit dans une usine dans les Cantons-de-l'Est.

Le soir du 15 août, donc, un vendredi, Mme Provost s'endort devant la télé. Elle se réveille à un certain moment, et s'étonne d'avoir les cheveux et le haut du corps mouillés. Elle se change et va se coucher dans la chambre. Delisle ne dort pas. Il avoue que c'est lui qui lui a lancé un verre d'eau parce qu'il était fâché qu'elle dorme. Selon lui, si elle s'était endormie devant la télé, c'est que, forcément, la nuit précédente, elle avait «fourré toute la nuit» avec quelqu'un d'autre. Ça recommence, se dit Mme Provost.

Delisle la taraude, exige qu'elle avoue l'avoir trompé. D'un doigt accusateur, il la frappe sur l'estomac à répétition (ce qui lui brise le sternum) en lui disant qu'elle va devoir lâcher son emploi. Puis, tout à coup, il la tire et lui assène un formidable coup de poing à la figure. Mme Provost entend un gros crac.

Craignant pour sa vie, elle lui dit ce qu'il veut entendre, même si ce n'est pas vrai. «Oui, je t'ai trompé.» Étonnamment, cela calme Delisle. Il en tire même une jouissance, constate Mme Provost. «Tu vois, si tu l'avais dit avant, ça ne serait pas arrivé», rétorque-t-il en faisant allusion au coup de poing. Il avoue alors que lui-même fréquente une jeune femme de 24 ans.

Mme Provost souffre le martyre, elle est au bord de l'évanouissement, mais elle n'ose pas appeler les policiers ou sortir de la maison, par crainte de la réaction de Delisle. Elle a peur qu'il s'en prenne à ses propres enfants (issus d'une autre union), qui dorment dans la maison. Elle patientera jusqu'au lendemain, après que Delisle sera parti travailler, pour se rendre à l'hôpital. Elle sera hospitalisée une semaine et aura à subir six interventions chirurgicales. Mme Provost n'avait jamais vécu de violence conjugale avant Delisle. «La violence est venue progressivement, à partir de la troisième année», dit-elle.

Delisle ayant fait faillite en 2004, il serait étonnant que Mme Provost reçoive la compensation ordonnée par la juge Geneviève Marcotte, de la Cour supérieure. «C'était surtout une reconnaissance que je recherchais», conclut Mme Provost.