Tout indique qu'il n'y aura pas d'accusation criminelle déposée contre le jeune policier du SPVM qui a abattu Fredy Alberto Villanueva en août dernier à Montréal. Cette décision sera dévoilée en même temps qu'une autre annonce destinée à préserver la paix sociale: une enquête publique sera aussitôt déclenchée par le Bureau du coroner.

De plusieurs sources dans le réseau de la justice, à Québec comme à Montréal, La Presse a appris que le rapport d'enquête remis cette semaine par la Sûreté du Québec au directeur des poursuites criminelles et pénales, Me Louis Dionne, accepte la thèse mise de l'avant dans la déclaration et le rapport du policier, la «légitime défense». Il a tiré pour protéger sa vie et celle de sa jeune partenaire de patrouille, agressée durant la bagarre qui a précédé les coups de feu.C'est à Me Dionne qu'il incombe de juger si des poursuites doivent être engagées contre ce policier ou s'il a fait un usage justifié de son arme de service.

Sa décision devrait tomber au cours du mois d'octobre, d'ici deux semaines, chuchote-t-on à Montréal. «Il n'y a pas de décision prise, affirme de son côté Me Martine Bérubé, porte-parole du bureau du directeur des poursuites. Nous venons de recevoir le rapport. Ce n'est que pure spéculation.»

Rapport clair

Cela dit, le rapport de l'inspecteur, qui tient sur deux disques compacts, est très clair, et il est peu probable qu'on ait besoin d'un complément d'enquête.

À Québec comme à Montréal, les élus sont inquiets d'assister à une reprise des troubles connus pendant l'été à Montréal-Nord. La situation est, juge-t-on, toujours aussi «explosive» entre le SPVM et les communautés ethniques du nord de la ville. La situation reste instable et il y a peu de villes en Amérique du Nord où deux émeutes sont survenues en moins d'un an, fait-on remarquer (celle de Montréal-Nord avait été précédée d'un autre saccage, durant la série Canadien-Bruins au printemps).

Pour calmer le jeu, Québec annoncera rapidement que le Bureau du coroner mènera une enquête «publique» sur les causes de la mort du jeune homme. Cette démarche s'ajouterait à une autre, moins courante: on envisage à Québec que le directeur des poursuites Me Dionne vienne expliquer sa décision en point de presse.

L'enquête «publique» du coroner - menée obligatoirement par un avocat - permettra de divulguer, en toute transparence, les circonstances qui expliquent pourquoi le policier a tiré quatre coups de feu, dont trois ont atteint le jeune Villanueva. Dès le lendemain de l'émeute, le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, s'était engagé à ce que l'enquête de la SQ sur les gestes des policiers montréalais soit «effectuée en toute transparence».

Cette opération, dirigée par un coroner ou même un coroner ad hoc choisi par le gouvernement, permettra de mettre en lumière des faits qui, autrement, seraient restés dans le dossier de Me Louis Dionne. Ce dernier a constitué un groupe de trois procureurs, où le vétéran François Brière agit comme conseiller.

Après les événements du 9 août qui ont provoqué une violente émeute le lendemain, le jeune policier avait, sur les conseils de son avocat et de son syndicat, tardé à enregistrer sa déclaration relatant l'intervention qui avait dégénéré en fusillade. Après cette période d'incertitude, la déclaration est venue, prévisible: l'usage de l'arme visait à protéger sa vie et celle de sa jeune partenaire de patrouille - les deux policiers avaient respectivement 3 ans et 18 mois d'expérience.

Après le drame, les témoins avaient indiqué aux médias que l'un des jeunes participants à la bagarre avait violemment pris la policière à la gorge. Ces faits sont corroborés, semble-t-il, dans le rapport de la SQ remis à Me Dionne.

La déclaration du policier est, a-t-on appris, bien corroborée par les témoins de la scène. Les enquêteurs de la Sûreté ont interrogé plus de 75 témoins pour le rapport déposé cette semaine. Fait à signaler, le jeune policier a été vu à titre de «témoin» et non de suspect. Il n'a jamais été arrêté. Comme sa collègue, il est affecté à du travail administratif depuis le drame.

Le rôle du coroner

La SQ a donné en même temps son rapport au directeur des poursuites et au coroner chargé de l'enquête, le Dr Paul Dionne. Ce dernier a mis la police mal à l'aise en confirmant publiquement que Fredy Villanueva avait été atteint par trois projectiles, dont deux lui avaient été fatals.

Il est habituel que le rapport soit transmis en même temps au directeur des poursuites et au coroner. C'est moins courant que cette démarche soit mise en évidence dans les communications publiques de la SQ, relève-t-on. On indiquait à l'avance, confie-t-on, que le coroner aura à jouer un rôle important au lendemain de la décision de ne pas déposer d'accusations.

L'affaire Villanueva met aussi en relief les problèmes de fonctionnement des enquêtes parallèles que doivent théoriquement mener les policiers et le bureau du coroner, quand on recourt à la «politique ministérielle». Par convention, à l'usage, on a décrété que la Sûreté du Québec s'occupait des enquêtes lorsque les policiers de Montréal ou de Québec étaient impliqués dans un décès. Ce protocole n'a jamais été adopté officiellement.

Or quand la SQ mène son enquête, le coroner est dans les faits coupé d'informations, ne peut en pratique agir en amont pour que le rapport d'enquête réponde à ses interrogations.

Dans le cas du rapport de la SQ sur Villanueva, on n'apprend rien par exemple de la stratégie d'intervention, du «protocole de gestion» du SPVM. Les services d'Urgences-santé ont-ils fonctionné? Comment cette patrouille de routine a-t-elle pu dégénérer de la sorte? Le manque d'expérience des agents peut être mis en relief; la majorité des agents patrouilleurs du SPVM a moins de cinq ans d'expérience.

Le rapport de la SQ ne répond pas aux interrogations normales d'un coroner, qui cherche à identifier les causes du décès mais aussi à suggérer des solutions pour éviter que ces situations se reproduisent.

Des sources fiables indiquent que les événements et les déclarations sont suffisamment clairs pour permettre à un coroner de faire son enquête et d'arriver à des conclusions. Politiquement toutefois, cette façon de faire ne permettrait pas de démontrer la «transparence» promise à Montréal-Nord.