Un abonnement à vie à l'internet pour à peine 9,95 $ : trop beau pour être vrai ? Pas pour les 50 000 Québécois qui avaient cru à cette promesse de Postes Canada en 2000, en pleine démocratisation du web. Dix-sept ans plus tard, la Cour supérieure a tiré un trait sur ce feuilleton judiciaire qui s'était rendu jusqu'en Cour suprême. Les clients lésés toucheront finalement la somme de 175 $.

Quelle était l'offre de Postes Canada ?

La Société canadienne des postes, en partenariat avec le fournisseur Cybersurf Corp., avait mis en vente en septembre 2000 le logiciel 3Web. L'offre était imbattable : accéder gratuitement à l'internet à vie. Le cédérom ne coûtait que 9,95 $, sans aucuns frais mensuels. Pas moins de 146 736 Canadiens, dont environ 50 000 Québécois, s'étaient procuré le logiciel. Le fournisseur Cybersurf misait sur la publicité en ligne pour financer l'accès gratuit. Or, l'entreprise a mis fin à la gratuité en août 2001 en raison des mauvais revenus publicitaires. Même si Postes Canada avait exigé que son fournisseur respecte la gratuité, l'accès a été coupé le mois suivant aux clients qui refusaient de payer dorénavant entre 7,95 $ et 9,95 $ par mois.

Selon Serge Proulx, professeur émérite à l'École des médias de l'UQAM, Postes Canada a toujours eu de la difficulté à se donner une « vision cohérente et pertinente de l'avenir ». « La prospective sociale et technologique réalisée à l'époque par les cadres de cette entreprise s'appuyait sans doute sur une vision trop euphorique du développement de l'internet », soutient le directeur du Groupe de recherche et observatoire des usages et cultures médiatiques.

Pourquoi ont-ils cru à l'accès gratuit à l'internet ?

Les clients qui ont succombé à l'alléchante offre de la société d'État nous semblent peut-être crédules a posteriori. Or, le produit de Cybersurf était vendu dans les points de service de la poste dans un emballage crédible aux couleurs de Postes Canada. De plus, les foyers de la province étaient loin d'être tous branchés au début du millénaire. En 2000, le taux de branchement à l'internet au Québec était à peine de 33 %, malgré l'arrivée de 380 000 ménages sur la Toile cette année-là, selon une étude de l'Institut de la statistique du Québec. À cette époque souligne Proulx, la population « endossait sans trop d'esprit critique la "promesse de l'internet", soit la vision d'un futur enchanté par la technologie ».

Les clients lésés seront donc enfin dédommagés ?

Oui, le juge Gérard Dugré de la Cour supérieure a finalement autorisé le 12 avril dernier la demande en approbation de transaction de l'action collective (auparavant appelé « recours collectif »). Cette action avait été déposée 15 ans plus tôt par Michel Lépine, un client lésé. Les Québécois qui ont acheté le logiciel de Postes Canada en 2000 ou 2001 obtiendront ainsi 175 $ en vertu de l'entente survenue entre les deux parties. Ces clients devront toutefois fournir une facture d'achat ou un exemplaire du cédérom. Ceux-ci ont 120 jours suivant la date de publication de l'avis pour réclamer leur dû à Postes Canada. Notons que les clients québécois ont obtenu une somme bien plus élevée que ceux de l'Ontario et de la Colombie-Britannique. La Cour suprême avait d'ailleurs déterminé en 2009 que les clients québécois n'étaient pas soumis à l'entente ontarienne.

Pourquoi le représentant de l'action collective s'est-il opposé à l'entente ?

Fait plutôt rare, le porte-étendard de l'action collective depuis le tout début, Michel Lépine, s'opposait à l'entente conclue deux ans plus tôt entre le procureur de l'action et Postes Canada. C'est d'ailleurs principalement sur cette question que la Cour supérieure s'est prononcée la semaine dernière. Michel Lépine soutenait que Postes Canada avait « entraîné un dommage équivalant à un prix similaire pour la durée du contrat à vie », soit bien davantage que 175 $. De plus, il exigeait des dommages exemplaires de la part de Postes Canada. Toutefois, selon le juge Dugré, le procureur du recours devait « agir dans le meilleur intérêt de l'ensemble des membres » de l'action collective, puisqu'il ne représentait pas uniquement le représentant, M. Lépine. « Le tribunal est satisfait, à la lumière de l'ensemble des circonstances, que la transaction intervenue est valide, juste, raisonnable, équitable et dans le meilleur intérêt des membres du groupe », a écrit le juge Dugré. Me Éric Lemay, l'avocat du demandeur, n'a pas voulu commenter le jugement.