Les procureurs de la Couronne du mégaprocès SharQc n'ont en aucun cas tenté de cacher des éléments de preuve à la défense ou au tribunal, conclut l'enquête administrative du DPCP sur l'avortement du procès pour meurtre des cinq Hells Angels du chapitre de Sherbrooke l'an dernier. Or, bien des décisions auraient pu être prises pour éviter ce fiasco de la poursuite et de la police.

En octobre 2015, le juge James L. Brunon avait prononcé un arrêt des procédures dans le procès des cinq motards en raison d'un «grave abus de procédures» de la poursuite qui avait divulgué en plein procès des éléments de preuve demandés depuis des années par la défense. Le juge de la Cour supérieure avait reproché à la Couronne d'avoir «privilégié leur désir de gagner à tout prix au détriment des principes fondamentaux» de la justice.

La preuve en question contredisait le témoin-vedette de la poursuite Sylvain Boulanger au sujet du meurtre de Sylvain Reed en mars 1997. Cette preuve était tirée de deux enquêtes de 2001 et 2002, Snack (en Ontario) et Cadbury, qui portaient sur les Hells Angels. En 2011, la Défense avait exigé cette preuve, mais la Couronne avait répondu ne pas l'avoir en sa possession. Or, ensevelis sous des montagnes de preuve, ces éléments cruciaux étaient bien détenus par la poursuite.

La directrice des poursuites criminelles et pénales, Me Annick Murphy, avait alors lancé une enquête administrative dès la semaine suivante pour «faire la lumière sur les circonstances qui ont retardé la communication des éléments de preuve en cause». Le rapport de Jean Lortie a été rendu public mardi soir, puisque les procédures judiciaires du projet SharQc «sont à toute fin pratique terminées». L'enquête administrative a été «très complexe» en raison du «grand nombre» de procureurs et d'acteurs impliqués. 

L'enquêteur assure qu'aucun procureur «n'a cherché à cacher, ni à la défense ni au tribunal, l'existence d'un élément de preuve, quel qu'il soit alors en possession de l'État», comme l'avait inféré le juge Brunton dans son jugement-choc. Aussi, personne «en particulier» n'est responsable de la divulgation tardive de la preuve, laquelle a provoqué la fin en queue de poisson de ce mégaprocès et la libération des accusés Claude Berger, Yvon Tanguay, François Vachon, Sylvain Vachon et Michel Vallières.

«Des réponses données, des réactions adoptées ou des décisions prises à différentes étapes du dossier, tant de la part des policiers que de la poursuite, mais aussi de la part de la défense, auraient pu être différentes et conduire à la divulgation plus rapide, en fait dès décembre 2011, des éléments de preuve en cause», peut-on lire dans le rapport de 69 pages.

Changements fréquents de procureurs, absence de procureurs avec une maîtrise globale du dossier, fragmentation des tâches, approche inadéquate : «l'insuffisance des ressources, humaines et matérielles consacrées à l'équipe de procureurs» ont eu de multiples répercussions sur l'enquête procès SharQc, conclut l'enquête administrative.

De plus, si les policiers avaient consulté le dossier Cadbury - dans lequel se trouvait la preuve qui a provoqué l'arrêt des procédures - sans se fier aux synthèses, les enquêteurs auraient pu retrouver les documents bien plus tôt. Ainsi, la poursuite aurait dû exiger aux enquêteurs qu'ils vérifient systématiquement toute la preuve reliée au témoin Boulanger.

La patronne du DPCP Me Annick Murphy a indiqué par communiqué mardi soir que «certaines décisions organisationnelles prises par le DPCP au cours du dossier SharQc seraient aujourd'hui différentes». Plusieurs recommandations du Rapport d'examen sur la gestion des mégaprocès, déposé en octobre, «répondront aux constats qui découlent de l'enquête administrative», a-t-elle déclaré.