La Cour du Québec a réitéré le droit fondamental à un procès public jeudi et rejeté la demande de deux accusés de terrorisme, qui souhaitaient qu'une partie de la preuve amassée contre eux soit cachée au public sous prétexte qu'elle risque de compromettre leur droit à un procès équitable en alimentant « l'islamophobie » et « le climat de panique » au Québec.

La requête avait été présentée par Sabrine Djaermane et El-Madhi Jamali, deux anciens élèves du collège de Maisonneuve arrêtés il y a un an et accusés d'avoir tenté de rejoindre un groupe terroriste à l'étranger et d'avoir planifié un attentat à Montréal.

En attente de leur procès, tous deux souhaitaient empêcher la publication d'éléments de preuve résumés par les enquêteurs de la GRC dans une demande pour obtenir un mandat de perquisition.

Leur demande s'appuyait sur le témoignage d'une témoin experte, Valérie Amiraux, sociologue et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en étude du pluralisme religieux à l'Université de Montréal. Avec l'aide de deux collègues, cette dernière a produit un rapport de 22 pages sur l'effet que pourrait avoir la divulgation de la preuve au sein de la population québécoise.

Dans son rapport, la professeure souligne que l'image publique des musulmans s'est considérablement altérée depuis le 11 septembre 2001, « notamment par l'effet du traitement médiatique des informations ». Elle ajoute qu'il existe « une antipathie généralisée vis-à-vis des musulmans au Canada » et que « l'islamophobie s'est banalisée au Québec » dans la foulée des débats sur les accommodements raisonnables et la Charte des valeurs. Le contexte s'apparente à ce que certains sociologues appellent une « hystérie politique ».

Dans ce contexte, le dévoilement de certains éléments de preuve est « problématique », conclut-elle, car « ces éléments [...] sont particulièrement susceptibles d'aider à tracer des liens entre l'islamophobie, le climat de panique et le sentiment d'insécurité ».

FRONT COMMUN DES MÉDIAS

Les avocats de La Presse, Québecor et de Radio-Canada ont fait front commun pour s'opposer à cette requête au nom de la liberté d'expression et des principes établis qui veulent que la justice soit publique au Canada.

La juge Lori Renée Weitzman leur a donné raison. La magistrate a résumé l'affaire à un conflit entre deux droits fondamentaux protégés par la Charte canadienne des droits et libertés : le droit des accusés à un procès juste et équitable, et le droit à la liberté d'expression.

La juge reconnaît que la témoin experte possède une grande expertise en sociologie et traite d'enjeux réels.

Mais pour la cour, l'existence de ces préjugés ne justifie pas de restreindre l'accès du public aux procédures judiciaires. « Sans minimiser l'étendue de l'expertise de Mme Amiraux, la faille dans son opinion est qu'elle extrapole des données qu'elle maîtrise parfaitement en sociologie pour arriver à une conclusion portant sur le système de droit criminel canadien, sans avoir les connaissances requises dans ce domaine », poursuit la juge.

Elle rappelle que selon la Cour suprême, « la bonne administration de la justice comprend le droit prévu par l'article 11 (d) de la Charte, qui garantit un procès public, et le droit à ce que les médias aient accès au procès et rapportent ce qui s'y déroule ».

DES PROCÈS À HUIS CLOS ?

D'autres positions de l'experte ont fait sourciller la juge. « La prof Amiraux ne connaît pas l'importance accordée par la Charte à l'accès et l'ouverture des tribunaux, croyant même, à tort, qu'un procès criminel pourrait avoir lieu à huis clos », constate aussi la juge.

« Cette appréciation erronée de nos principes fondamentaux du droit criminel canadien lui permet d'arriver à sa conclusion en faveur de la non-publication qui s'appliquerait, selon elle, dans tous les dossiers mettant en cause les sujets anxiogènes, ou visant une minorité identifiable », poursuit le jugement.

Le témoignage de la sociologue a donc été jugé inadmissible et la demande d'ordonnance de non-publication rejetée. « Les conséquences d'une telle ordonnance seraient importantes, puisqu'elle limiterait l'accès du public à des renseignements en lien avec des procédures judiciaires, ce qui enfreint le droit constitutionnel de la liberté d'expression », affirme la juge.

Les accusés disposent toutefois d'un sursis de 10 jours s'ils souhaitent faire appel de cette décision.