Alors que le procès de Jian Ghomeshi mettra de l'avant cette semaine la question du consentement, des experts juridiques préviennent que les condamnations dans les dossiers d'agressions sexuelles sont difficiles à obtenir.

L'ancien animateur vedette de la radio d'État anglophone CBC fait face à quatre chefs d'accusation d'agression sexuelle et à un pour avoir vaincu la résistance à la perpétration d'un crime par étouffement. Son procès sera présidé par un juge seul.

Les crimes allégués remontent jusqu'à 2002.

D'après les experts, le temps écoulé présente un défi de taille pour aller chercher un verdict de culpabilité, dans un tel cas.

Karen Bellehumeur, une ancienne procureure de la Couronne qui a rencontré beaucoup de dossiers d'agression sexuelle, explique que la dégradation de la preuve est trop importante. Non seulement le souvenir de la présumée victime s'est érodé, brouillant quelque peu les détails périphériques au crime, mais la police ne peut plus aller recueillir de preuve.

Cette preuve pourrait prendre la forme d'ADN, de blessures, de vêtements endommagés ou de témoins. Sans preuve physique, ces procès se résument souvent à une parole d'un témoin contre une autre. La question du consentement devient donc un élément crucial.

«Lorsqu'on a un dossier qui présente une parole contre une autre, ce qui tend à se produire souvent dans des cas historiques, le principal problème est que les exigences en matière de preuve sont très élevées dans un cas de droit criminel, a-t-elle expliqué. À moins qu'il y ait une réelle disparité entre la crédibilité du plaignant et celle de l'accusé, ce sera très difficile pour la Couronne de prouver la culpabilité hors de tout doute raisonnable.»

Un des aspects positifs lorsque beaucoup de temps s'est écoulé depuis les présumées agressions sexuelles, est que l'annonce des accusations par une victime alléguée peut en encourager d'autres à porter plainte, ce qui peut aider la poursuite. De l'autre côté, les plaignants seront dûment interrogés par la défense qui cherchera les failles dans leur version des faits.

«La crédibilité de la plaignante dépend vraiment de son témoignage, de son attitude», soutient la professeure de droit à l'Université d'Ottawa Carissima Mathen.

Les rapports d'infractions alléguées précédant le procès - c'est le cas de l'une des plaignantes du procès Ghomeshi, qui soutient avoir été étouffée jusqu'à ne plus pouvoir respirer - sont également soumis à des interrogatoires.

Et même avec de nombreux témoignages, il résulte peu de condamnations des dossiers d'agression sexuelle en raison d'un manque de preuve absolue, a ajouté Mme Mathen.

«Une plaignante peut affirmer qu'elle a été agressée sexuellement, parce qu'elle a ressenti une violation, et l'accusé sera acquitté parce qu'il n'a pas reconnu cette version des faits.»

Les lois canadiennes en matière d'agression sexuelle sont pourtant bien constituées, a poursuivi un autre professeur de droit. Sur papier, elles sont parmi les meilleures au monde.

«Il y a deux problèmes avec ces lois. L'un est la preuve hors de tout doute raisonnable, et ça, ça ne va pas changer», a soutenu la professeure de droit de l'université du Manitoba Karen Busby. «L'autre problème est la réticence de certains juges face aux réformes de la loi tentées dans les années 1990.»

Ces mesures comprenaient une modification de la définition du consentement, ainsi que des changements à l'utilisation des informations personnelles et du passé sexuel.

Certains juges, toutefois, s'arrêtent encore à des stéréotypes, regrette Mme Busby, mentionnant le cas récent du juge albertain qui a dit à la victime qu'elle aurait dû «serrer les genoux». Une plainte a été déposée contre lui.

«Tant que les juges ne croiront pas les femmes et entretiendront des stéréotypes sexuels, les dossiers ne seront pas vite classés comme ils le devraient.»