Des cris, des crises, des bris de matériel, de trop rares accalmies, une fausse tentative de suicide avec une lame de rasoir, un juré scandalisé qui jette l'éponge, et mille autres péripéties...

Après un procès d'un mois et demi bien singulier en raison du comportement ahurissant de l'accusé, le jury chargé de juger Erich Shimon Chemama a entrepris ses délibérations mardi matin à Montréal. En fin de journée, hier, le jury de 11 personnes avait demandé à réécouter des parties du procès, mais n'avait toujours pas rendu de verdict.

M. Chemama, 32 ans, est accusé d'agressions sexuelles, de séquestration et de menaces contre trois prostituées, événements qui se seraient produits entre 2009 et 2010 dans son logement de l'arrondissement de Saint-Laurent.

Il se défendait seul dans cette affaire, et n'a pas cessé de s'en plaindre au jury. Ce que le jury ignore, c'est que plusieurs avocats se sont succédé pour représenter M. Chemama depuis son arrestation, il y a deux ans. Ils ont été écartés par l'accusé ou se sont désistés en raison d'incompatibilité avec lui.

Le juge Jean-François Buffoni a nommé un avocat «ami de la cour» pour assister M. Chemama dans son procès et contre-interroger les victimes alléguées, ce que l'accusé n'avait pas le droit de faire lui-même. Au début, c'est Me François Bérichon qui assurait ce rôle, et quand celui-ci a eu des ennuis de santé, Me Luc Trempe l'a remplacé. M. Chemama a refusé de collaborer avec l'un et l'autre, si bien qu'il a perdu sa chance de contre-interroger les plaignantes. «Il n'est pas mon avocat», s'écriait M. Chemama à tout bout de champ, à l'intention des jurés.

Comme c'est la règle, et dans le but de ne pas nuire à l'accusé, le jury était tenu autant que possible dans l'ignorance par rapport aux choses extérieures à la preuve. C'est ainsi que, scandalisé par ce qu'il voyait, un juré a tenu à exprimer ses doutes au juge quelques jours après le début du procès. Il n'en revenait pas que l'État, avec ses énormes moyens, s'acharne sur un type seul, manifestement incapable de se défendre, disait-il. «Depuis le début, j'ai l'impression grandissante de participer à une terrible injustice», a fait valoir le juré, qui ne voyait pas d'issue. Le juge l'a exclu du jury.

Pas de défense

M. Chemama s'est montré plus terre à terre à certains moments, et il a contre- interrogé certains témoins. Mais au moment de présenter sa défense, il voulait rappeler tous les témoins de la Couronne, et même faire témoigner le procureur Matthew Ferguson. Les témoins qui étaient à sa disposition, il a refusé de les entendre. Le juge Jean-François Buffoni a fini par mettre un terme à ce petit jeu. Ensuite, devant le jury, M. Chemama prétendait avoir une défense d'alibi et se disait victime d'injustice.

Apte à être jugé

M. Chemama a des problèmes de comportement évidents. Il a cependant été évalué deux fois en psychiatrie depuis deux ans et a été déclaré apte à être jugé. Chose rare, il a lui-même plaidé (sans succès) sa propre inaptitude. L'homme est inventif et inonde les tribunaux de requêtes et de procédures de toutes sortes, vouées à l'échec. Si bien qu'il a été déclaré quérulent en matière criminelle. C'est le juge Fraser Martin qui lui a accolé cette étiquette il y a un an. Cela veut dire qu'il ne peut plus entreprendre certains recours sans obtenir la permission du juge en chef.

M. Chemama a un comportement tout aussi désordonné en prison, où il multiplie les plaintes contre tout un chacun. Selon le dirigeant d'un centre de détention, M. Chemama génère à lui seul 80% des plaintes. Maintenant, tous ses déplacements sont filmés en prison. Lorsqu'il est contrarié, il est prompt à s'assommer lui-même sur un mur ou une table. Il y a peu de temps, il a prétendu avoir avalé une lame de rasoir. Dans le passé, il lui est aussi arrivé de déféquer par terre et d'étendre ensuite ses excréments sur la fenêtre de sa cellule.

Au début de son procès, M. Chemama est apparu devant les jurés avec les cheveux très longs, vêtu d'une combinaison anti-suicide. Quelques jours plus tard, il est arrivé tiré à quatre épingles, en complet-cravate, avec les cheveux courts.

Le jury poursuit ses délibérations aujourd'hui dans ce singulier procès.