«Où l'on commence à ne pas comprendre.» Ce titre que Gaston Leroux a donné au premier chapitre de son célèbre roman Le mystère de la chambre jaune, il y a plus de 100 ans, conviendrait parfaitement à une autre intrigue policière en lieu clos, version plus moderne. Celle du mystère de la chambre hyperbare.

Malheureusement, le second mystère ne relève pas de la fiction.

Deux petites soeurs, Amanda De Vito, 9 ans, et Sabrina De Vito, 8 ans, sont réellement mortes dans la maison familiale de Laval, le 31 mars 2009.

Depuis jeudi matin, 12 jurés sont eux-mêmes confinés dans un endroit clos du palais de justice de Laval, pour décider du sort de la mère des petites.

Adèle Sorella, 47 ans, femme du mafioso Giuseppe De Vito, est accusée des meurtres prémédités de ses deux filles.

Mais il y a un hic. La science, habituellement impitoyable accusatrice, est confondue. Pour expliquer ces morts inexpliquées, elle en est réduite à émettre des hypothèses. L'une d'elles est l'injection d'insuline au moyen d'une fine aiguille. L'autre, la plus probable, selon le ministère public, est la mort par privation d'oxygène dans la chambre hyperbare, un appareil qui, ironiquement, sert à améliorer la santé en apportant un surplus d'oxygène. Adèle Sorella avait acheté cet appareil en 2008, pour traiter l'arthrite juvénile de sa cadette. Elle avait payé les 25 000$ requis en argent comptant. Le mari, lui, n'était plus dans le décor à ce moment-là, du moins officiellement. Recherché dans le cadre de l'Opération Colisée, il était en cavale depuis l'automne 2006.

51 témoins

Les 50 témoins que les procureurs de la Couronne, Maria Albanese et Louis Bouthillier, ont fait défiler pendant ces deux mois de procès ont certes apporté un éclairage sur cette étrange affaire. Mais il y a de grandes zones d'ombres. Adèle Sorella est apparue comme une femme dépressive, malheureuse de l'absence de son mari, et dépassée par l'ampleur de la tâche. Elle avait tenté de se suicider trois fois depuis que son mari était parti. Sa mère, Teresa Di Cesare, était même venue s'installer chez elle, pour l'aider. Des éléments de preuve recueillis le 31 mars 2009, comme les messages qu'elle a laissés à des proches, tendent à incriminer Mme Sorella. Mais il reste que la Couronne n'a pas réussi à prouver que les enfants avaient séjourné dans la chambre hyperbare le jour fatidique. Deux cheveux, un d'Amanda et l'autre de Sabrina, se trouvaient sur l'appareil, à l'extérieur. Point à la ligne.

Misant sur cette absence de preuve, les frères Pierre et Guy Poupart, qui occupent en défense, n'ont présenté qu'un seul témoin: André Tremblay, expert en fibres du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale, est venu dire qu'il n'y avait aucune fibre des vêtements des enfants dans la chambre hyperbare.

Six heures à tuer

À 9h le matin du 31 mars 2009, Amanda et Sabrina se tenaient sur le pas de la porte de la maison familiale cossue de la rue de l'Adjudant. Enjouées, elles faisaient des bye bye à leur grand-mère maternelle, Teresa Di Cesare, qui s'en allait en voiture chez sa soeur, au centre-ville, avec le chauffeur de cette dernière. À 16h30, au retour de la grand-mère, les petites gisaient mortes, allongées côte à côte dans la salle de jeu. Elles étaient habillées comme le matin, de leur uniforme scolaire. Elles n'étaient pas allées à l'école ce jour-là. Leur mère, Adèle Sorella, qui était dans la maison le matin, ne s'y trouvait plus. Elle était partie, manifestement avec sa voiture, et ne répondait pas à son cellulaire.

Il n'y avait pas de trace d'effraction dans la maison, ni rien de déplacé. Les enfants ne montraient aucune marque de violence. Une substance s'échappait de leur nez et de leur bouche, mais c'est une réaction post-mortem qui n'est pas vraiment significative, viendra dire la pathologiste. Impossible de déterminer avec exactitude l'heure de la mort des enfants, mais celle-ci serait survenue au moins d'une heure à deux heures avant que les petites soient découvertes. Ce qui laisse un battement d'environ six heures.

Il aurait fallu environ 90 minutes pour asphyxier les enfants, si elles se trouvaient ensemble dans la chambre hyperbare, selon un expert. Ç'aurait été plus long si ç'avait été fait à tour de rôle.

Qu'est-il arrivé dans la maison de la rue de l'Adjudant pendant les six heures de battement?

Adèle Sorella est restée muette à ce sujet lors de son interrogatoire. Et elle n'a pas témoigné à son procès.

Des faits qui militent contre l'accusée

Le 31 mars 2009

> Elle aurait prétexté un rendez-vous chez le médecin, le matin, pour ne pas envoyer ses filles à l'école.

> Elle n'est pas allée chercher sa mère comme prévu, vers 11h, pour aller à un rendez-vous prévu chez le gynécologue. Inquiète, sa mère a tenté sans succès de la joindre, à la maison et sur son cellulaire.

> Adèle Sorella a appelé sa mère à 13h22, disant qu'elle avait manqué le rendez-vous, que «ç'a avait été plus long avec les enfants».

> Peu de temps après, Adèle a laissé un message à son frère Luigi, lui demandant de venir à la maison ce soir, «sans amener maman». Elle a aussi laissé un message semblable à Nick De Vito, son beau-frère. Les deux hommes étaient des protecteurs pour elle.

Le 1er avril 2009

> Un peu avant 3h cette nuit-là, Adèle Sorella, qui roulait vite, a percuté un poteau d'Hydro-Québec sur le rang du Bas-Saint-François, à Laval. Elle n'a pas été blessée.

> Interrogée par la police, elle refuse d'admettre la mort de ses enfants. Elle ne réagit pas quand l'enquêteur lui montre la photo des cadavres. Elle repousse simplement la photo.

Des faits qui militent pour l'accusée

> Des autopsies blanches, sans cause de décès.

> Des preuves matérielles pas très fortes.

> La Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable qu'il y a eu meurtres prémédités et que l'accusée en est l'auteure.

Verdicts possibles

> Coupable de meurtres prémédités

> Coupable de meurtres non prémédités

> Coupable d'homicides involontaires par négligence criminelle

> Non coupable