Le Canadien Pacifique envisage la tenue d'une enquête criminelle pour élucider les circonstances entourant le déraillement d'un train de marchandises, hier, au coeur de Montréal. Cette enquête se déroulerait parallèlement aux travaux du Bureau de la sécurité des transports (BST) afin de déterminer pourquoi cinq wagons ont quitté les rails alors qu'ils roulaient à basse vitesse.

Peu après 10 h, hier, un train de marchandises a déraillé près de la gare de triage d'Hochelaga. L'un des wagons a terminé sa course contre une maison, créant un trou dans le mur du bâtiment. Heureusement, personne n'a été blessé.

Même si les conséquences du déraillement ont été relativement mineures, c'est seulement en début de soirée que le Canadien Pacifique a pu entreprendre le nettoyage du site et remettre les wagons sur leurs rails. « La police locale et la police du CP ont entrepris une enquête criminelle avant de restituer la scène au CP », a indiqué par courriel le transporteur ferroviaire.

Le Canadien Pacifique, qui possède son propre service de police, a préféré ne pas commenter l'événement, dirigeant les questions de La Presse au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Le corps policier montréalais n'a toutefois pas confirmé hier soir si une enquête criminelle en bonne et due forme avait été ouverte.

Selon nos informations, le déclenchement d'une telle enquête n'est pas routinier lors d'un déraillement, mais témoigne plutôt des circonstances suspectes entourant cet événement. En effet, les wagons circulaient à basse vitesse sur des rails qui avaient été installés voilà quelques années à peine, selon des riverains. Ceux-ci s'expliquaient mal comment le convoi avait pu sortir de sa voie. Vandalisme ? Vol de métaux ? Toutes les hypothèses seront étudiées tant par les policiers que par l'enquêteur du BST dépêché sur place.

SPECTRE DE LAC-MÉGANTIC

Ce nouveau déraillement - heureusement sans graves conséquences - a ravivé les craintes de citoyens vivant à proximité des rails. Alors que certains appréhendent une tragédie similaire à celle de Lac-Mégantic, le maire Denis Coderre a jugé « inacceptable » le manque d'information sur les matières transportées.

«Depuis ce qui s'est passé à Lac-Mégantic, on a toujours peur qu'un wagon nous tombe sur la tête. Et c'est arrivé. On n'a jamais donné la permission au Canadien Pacifique de faire un stationnement dans notre cour», souligne Gabriel Serbanescu, propriétaire de la maison endommagée. 

Sa femme, qui s'affairait à l'évier de cuisine lorsque le wagon a embouti leur maison, a subi un violent choc nerveux.

Leur fils, Michael Constantin-Serbanescu, dormait dans sa chambre quand il a été subitement réveillé par le bruit. « Au début, je pensais que c'était un tremblement de terre, mais en regardant par ma fenêtre, j'ai vu qu'un wagon était sorti de ses rails et se trouvait dans ma cour », a relaté le jeune homme. Son chien, qui se trouvait dans sa niche dans la cour, l'a échappé belle, le wagon l'ayant évité de peu.

Le wagon a défoncé le mur de la maison en rangée, créant un trou dans le garage.

« Le train a frappé le côté de la maison. Le mur du garage s'est enfoncé d'un pied », a rapporté Michael Constantin-Serbanescu.

La famille Serbanescu n'était pas la seule à brandir le spectre de la tragédie ferroviaire de juillet 2013. « Je suis vraiment content qu'on n'ait pas assisté à un nouveau Lac-Mégantic », a réagi un riverain, Réjean-Serge Daignault. L'homme, qui habite non loin des rails, craignait au départ que les wagons ayant déraillé ne transportent des matières dangereuses. Ce n'était pas le cas heureusement, puisque ceux-ci étaient vides.

ON RÉCLAME PLUS D'INFORMATIONS

Le maire de Montréal dit comprendre la réaction des citoyens. « On a toutes sortes d'images qui viennent en tête quand on pense à un déraillement », a dit Denis Coderre.

Le maire a déploré le manque d'informations disponibles, les pompiers dépêchés sur les lieux ayant ignoré jusqu'à leur arrivée sur place si des matières dangereuses transitaient par ces rails.

Au Service de sécurité incendie de Montréal, on confirme que ces informations contribueraient à l'efficacité des interventions. « Quand il risque d'y avoir des matières dangereuses, on a une approche différente, plus défensive », explique Denis Doucet, directeur adjoint du Service de sécurité incendie de Montréal (SSIM).

Les maisons en rangée ont été évacuées par mesure de précaution, aucun blessé n'ayant été signalé. Avant de permettre la réintégration des habitations, les pompiers se sont assurés de leur stabilité.

Gabriel Serbanescu, qui habite près de ces rails depuis 21 ans, affirme que la voie où a eu lieu le déraillement a été aménagée il y a quelques années seulement. « Quand on a acheté la maison, ces rails n'étaient pas là. Le Canadien Pacifique a aussi augmenté le trafic. Personne ne nous a jamais demandé si ça nous affecte », s'indigne le Montréalais.

Le Canadien Pacifique, qui exploite ces rails, a indiqué qu'il avait pris la situation en main. Le transporteur n'a pas répondu directement à nos questions pour savoir si des matières dangereuses transitaient par ces rails. « Ce n'est pas une ligne principale », nous a-t-on simplement répondu.

Reste que le transport de produits pétroliers a connu une croissance phénoménale sur le réseau du Canadien Pacifique. En 2011, l'entreprise rapportait avoir transporté 11 000 wagons de produits pétroliers. En 2015, elle prévoit qu'elle en aura transporté pas moins de 200 000, soit près de 20 fois plus en quatre ans à peine.