Loin de se méfier de l'internet, des extrémistes n'hésitent pas à s'afficher et à défendre leur cause sur les réseaux sociaux. D'autres optent pour des sites plus discrets, mais sont néanmoins repérés grâce aux nouvelles techniques de surveillance. Ou ne le sont pas, ce qui déclenche des controverses.

«TERRORISME 2.0»

«Vous allez bientôt assister au terrorisme 2.0 made in occident ...camion de livraison piéger, attentat au parlement, des poste policier attaquer par des policier et +++ check ben ca...» (sic). À deux reprises, le Montréalais Denis Marc Pelletier a été arrêté pour «avoir fait craindre des activités terroristes». Mis en ligne sur Facebook sous le pseudonyme «kamikaze», en 2013, les propos qui précèdent lui ont valu neuf mois de prison. L'homme de 30 ans avait par ailleurs menacé de cacher «des explosif dans un speaker a un show de 50 000 personnes». Il avait aussi téléchargé des modes d'emploi de confection de bombes et avait été arrêté par la SQ lors d'une manifestation étudiante, où il avait traîné un briquet et de l'essence. Un an plus tard, en février dernier, il était de nouveau arrêté pour menaces terroristes.

DISCOURS HAINEUX À LA BAIE

Les policiers belges chargés de surveiller le web ont alerté le Canada l'été dernier, après avoir découvert une vidéo de sept minutes mettant en scène un père de famille de 27 ans qui s'était converti à l'islam. Selon la poursuite, le Saguenéen Gabriel Mohammed Boulanger y attisait la haine et y menaçait de mort les chiites de la Syrie, qui sont notamment combattus par les sunnites radicaux d'al-Nosra, affilié à Al-Qaïda. Boulanger se serait par ailleurs filmé en train de hisser dans son jardin un drapeau noir associé aux djihadistes. En août, il a été condamné à 20 mois de prison pour une affaire antérieure de trafic de drogue.

GROUPE PIÉGÉ À TORONTO

À Toronto, des adolescents ont attiré l'attention des enquêteurs du web parce qu'ils passaient beaucoup de temps sur des sites anti-occidentaux. Ces «espions» du cyberespace ont rapidement alerté le Service canadien du renseignement de sécurité, lui permettant de découvrir que les jeunes et une douzaine d'adultes se proposaient de faire exploser trois tonnes de nitrate d'ammonium. Des agents d'infiltration ont piégé et arrêté le groupe en 2006, après avoir déjà arrêté deux conspirateurs, alors qu'ils tentaient de faire entrer illégalement des armes à partir des États-Unis.

UN CHAUFFEUR DE TAXI SUR ÉCOUTE

La surveillance massive - et ultra controversée - des communications téléphoniques et électroniques par la National Security Agency (NSA) a permis de découvrir qu'un chauffeur de taxi de San Diego, Basaaly Moalin, a envoyé 8500$ au groupe islamiste al-Shabab, en Somalie, son pays d'origine. Dès 2003, le FBI reçoit des informations voulant que Moalin soit lié au terrorisme, mais ferme le dossier, faute de preuves. En 2007, après une perquisition dans un entrepôt somalien, la NSA constate qu'un numéro de portable utilisé par al-Shabab a été composé depuis les États-Unis et qu'un correspondant américain du groupe a lui-même été appelé par Moalin. Grâce à un mandat judiciaire, la NSA écoute 2000 conversations du chauffeur, dont certaines avec un chef terroriste. Moalin a été condamné à 18 ans de prison en 2013, mais ses avocats réclament un nouveau procès, affirmant que la surveillance de la NSA était inconstitutionnelle.

ONZE COMPTES FACEBOOK, UN MEURTRE

Quelques mois avant de poignarder le soldat britannique Lee Rigby en plein jour, à Londres, en 2013, Michael Adebowale avait peaufiné son plan en clavardant sur Facebook. Le chrétien de 22 ans, converti à l'islam, avait correspondu avec «Foxtrot», un intégriste du Yémen, qui l'avait encouragé et lui avait proposé diverses méthodes. Au fil des mois, Facebook avait déjà fermé 4 des 11 comptes d'Adebowale en raison de liens possibles avec des terroristes. Un comité parlementaire britannique a reproché à l'entreprise de ne pas avoir alerté les autorités, ce qui leur aurait permis de mieux jauger la dangerosité du meurtrier et de son complice. D'après le Guardian, les deux hommes figuraient déjà sur une liste d'islamistes «suspects» dressée par le service de sécurité. À la même époque, la NSA américaine avait déjà commencé à intercepter des milliers d'échanges Facebook, mais elle n'a visiblement été d'aucun secours dans cette affaire.

EX-MILITAIRE AMÉRICAIN EN CAVALE

Eric Harroun, ex-militaire du Colorado converti à l'islam, a été arrêté par le FBI américain en mars 2013. L'homme de 32 ans était parti en cavale à travers le monde après un accident de jeep sur sa base, où il avait été blessé à la tête et qui l'avait plongé dans une dépression. Il avait abouti en Syrie et s'était montré sur Facebook et d'autres réseaux sociaux en train de manier des armes d'assaut. Dans une vidéo, il disait au président syrien que ses «jours étaient comptés». Dans une autre, il se targuait d'avoir abattu un hélicoptère. Des médias ont repéré ses images et Harroun leur a dit qu'il combattait pour des djihadistes affiliés à Al-Qaïda. Lors de son procès, Harroun a affirmé qu'il se battait plutôt pour l'Armée syrienne libre, elle aussi opposée au régime syrien, mais appuyée par la CIA américaine. Il a finalement été relâché après un plaidoyer secret. Il est mort d'une surdose sept mois plus tard, en avril.

PROPOS INQUIÉTANTS D'UN EXPERT DU NUCLÉAIRE

Alors au repos pour soigner une hernie discale, un physicien du Centre européen de recherche nucléaire, le Franco-Algérien Adlène Hicheur, est repéré sur des forums islamiques. En 2009, les enquêteurs français interceptent les 35 courriels qu'il échange avec un activiste de l'organisation Al-Qaïda au Maghreb islamique, qui finit par lui demander: «On ne va pas tourner autour du pot: est-ce que tu es disposé à travailler dans une unité active en France?» Cinq jours plus tard, Hicheur répond: «Oui, bien sûr, mais il y a quelques observations.» Il évoque tout de même «une opération de martyr» et suggère lui-même d'attaquer un bataillon de Haute-Savoie ayant envoyé des troupes en Afghanistan. L'État l'arrête. En 2012, Hicheur est condamné à quatre ans de prison, mais il est libéré presque aussitôt parce qu'il avait déjà été détenu pendant deux ans et demi avant son procès. Selon ses défenseurs, ses propos inquiétants s'expliquaient par le fait qu'il vivait des «turbulences», et Hicheur n'aurait pas dû être condamné pour «pré-terrorisme», du «blabla», du «virtuel».

- Avec la collaboration de Mathieu Perreault

Que cherchent les ordinateurs-espion?

1. À détecter des ensembles de mots-clés inquiétants dans des masses de données colossales.

Par exemple, «massacre», «tuer», «bombe», «Hitler», «Ben Laden», etc. (En anglais, les chercheurs emploient parfois l'expression «bags of words»)

2. À détecter les émotions exprimées, leur intensité et les intentions qui en découlent

Soit la frustration ou la satisfaction relatives à un produit ou à une marque. Et bientôt, au sujet d'un pays, d'un groupe, d'une cause, d'une idéologie, de la violence, etc. Des chercheurs travaillent même à la détection du sarcasme et de l'ironie. (En anglais «sentiment analysis» ou «opinion mining» et «intention analysis»)

3. À détecter le taux de névrosisme

Par exemple, le narcissisme ou la paranoïa, en mesurant l'utilisation des pronoms personnels «je», «moi» ou bien «eux», «ils».

4. À identifier l'auteur d'un texte resté anonyme

En comparant son style (structure de phrases, mots-clés, taille et couleur de police, etc.) à celui d'autres textes. (En anglais «author recognition»)

5. À repérer ou à relier les images sur lesquelles apparaissent une personne, un logo, une arme

Malgré l'angle, le changement d'apparence, l'âge, etc.

6. À cerner les liens entre diverses personnes ou divers groupes

Selon leurs contacts électroniques. (En anglais «social network analysis and mining»)

7. À détecter les caractéristiques communes insoupçonnées de personnes

En établissant des liens que l'humain n'était pas parvenu à voir.

8. À savoir où se trouve l'auteur d'un tweet ayant désactivé la géolocalisation

Selon le site Defense One, l'entreprise SnapTrends y parvient et a ainsi aidé les enquêteurs à retrouver des témoins après les attentats du marathon de Boston de 2013.