Des gangs de rue disposaient jusqu'à récemment d'un complice accrédité dans les zones les plus névralgiques de l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, qui aidait à organiser l'importation de cocaïne entre Haïti et Montréal, croit la GRC.

C'est ce que révèle un résumé d'une enquête du corps policier fédéral baptisée Carlingue. L'enquête visait à «déterminer le degré de corruption interne à l'aéroport Trudeau» après l'interception d'un voyageur qui servait de mule pour le transport de la drogue en janvier 2011.

Le voyageur en question revenait de Port-au-Prince lorsque les autorités ont découvert 2,4 kilos de cocaïne dissimulée dans des courges qu'il avait rapportées dans ses bagages.

Courriel compromettant

L'homme avait aussi sur lui un iPod Touch dans lequel était enregistré un courriel venant d'un mécanicien montréalais de la compagnie Air Transat.

Le courriel, qui avait été transféré par l'intermédiaire d'un membre d'un gang de rue montréalais, contenait la photo de deux employés bagagistes d'Air Canada à l'aéroport de Port-au-Prince.

Dans un autre courriel, le membre du gang expliquait à la "mule" qu'on allait lui remettre des fruits et que la marchandise serait cachée à l'intérieur. Il ne fallait pas s'inquiéter puisque ce stratagème était utilisé «toutes les deux semaines» à l'aéroport Montréal-Trudeau, précisait le message.

Après l'arrestation de la mule, les policiers de la GRC ont déclenché l'enquête Carlingue et se sont intéressés au mécanicien d'Air Transat qui avait fourni la photo des bagagistes de Port-au-Prince, possiblement pour faciliter l'embarquement de la drogue dans l'avion volant vers Montréal.

Lié à des criminels

Les enquêteurs ont découvert que le mécanicien de 45 ans, vétéran des Forces canadiennes, avait des «rapports» avec un membre du gang des Bo-Gars qui se vantait ouvertement d'importer des kilos de cocaïne à l'aéroport et dont une proche amie avait été arrêtée en possession de 1,5 kilo de cocaïne alors qu'elle revenait d'Haïti sur un vol humanitaire, après le tremblement de terre de 2010.

Selon les policiers, le mécanicien avait aussi des liens avec un autre membre d'un gang montréalais de la famille des «Rouges», l'alliance dont font partie les Bo-Gars. Cet autre criminel avait déjà été identifié comme un recruteur de mules pour faire passer la drogue d'Haïti vers Montréal.

Lorsqu'ils ont interrogé le mécanicien, celui-ci a eu du mal à expliquer un versement de 25 000$ qui avait transité dans son compte à cette époque. Il a aussi admis connaître la mule arrêtée avec les courges.

Les policiers lui ont demandé pourquoi il avait téléphoné 63 fois à un membre de gang impliqué dans l'organisation de l'importation, dont 38 fois pendant que celui-ci était en prison.

Le mécanicien a expliqué que l'individu était le frère d'une ancienne copine et qu'il avait tenté de le convaincre de quitter le crime. Quant à la photo des bagagistes de Port-au-Prince qu'il lui avait transmise, il ne s'agissait que d'un souvenir croqué lors d'un voyage humanitaire après le tremblement de terre.

La preuve amassée lors de l'enquête Carlingue n'était pas assez solide pour déposer des accusations criminelles, mais le dossier monté par la GRC a tout de même poussé les autorités aéroportuaires à annuler l'habilitation sécuritaire du mécanicien, sous prétexte qu'il y avait «motif de croire qu'il est impliqué dans le trafic de drogue».

La perte de ses accès aux zones contrôlées de l'aéroport a mis fin instantanément à son contrat.

Vu l'absence d'accusations, toute l'enquête Carlingue serait restée totalement confidentielle si le mécanicien n'avait pas lui-même rendu publique son existence, récemment, en contestant sans succès la perte de son habilitation sécuritaire devant la Cour fédérale du Canada.