Une trentaine de personnes, que l'on croit être des trafiquants, ont été arrêtées dans la foulée de la vague record de surdoses de drogue qui a fait des ravages à Montréal au début de l'été, a appris La Presse. Mais on ne saura probablement jamais qui a introduit sur le marché la drogue mortelle.

Alors qu'en temps normal, Montréal compte en moyenne 1,3 décès par mois dû à une surdose de drogue injectable, les chiffres avaient littéralement explosé en mai et juin derniers. En un peu plus de deux mois, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a répertorié 23 décès et une vingtaine de surdoses graves qui ont nécessité des soins médicaux d'urgence, selon nos informations.

Marché désorganisé

«On n'a jamais eu à faire face à une série de décès comme maintenant», avait déclaré en juin la Dre Carole Morissette, de la santé publique, en parlant d'un «produit néfaste» en circulation qui constituait une véritable «menace pour la santé publique».

Comme la majorité des surdoses était liée à la consommation d'héroïne, les soupçons des autorités se sont tournés vers de l'héroïne trop pure ou de l'héroïne additionnée de fentanyl, un opiacé extrêmement puissant. Dans les deux cas, le résultat aurait été le même: une drogue trop puissante qui provoquait des arrêts respiratoires.

En recoupant les témoignages de sources policières et criminelles, La Presse avait révélé en juin comment le marché de l'héroïne, autrefois dominé par un très petit nombre d'organisations expérimentées, était maintenant en pleine pagaille. Les arrestations, déportations et meurtres dans le milieu avaient provoqué un changement de garde brutal, une fragmentation des réseaux et un relâchement du contrôle sur le produit. De nouveaux acteurs inexpérimentés avaient pu se tailler une place dans le marché, ce qui faisait craindre à certains trafiquants expérimentés que les dosages et normes de qualité traditionnels ne soient plus respectés.

Le SPVM refuse d'en discuter publiquement, mais selon des documents judiciaires déposés en cour, ses enquêteurs ont exploré une foule de pistes pour trouver la source de la drogue mortelle. Ils ont frappé toutes sortes de revendeurs d'héroïne, du petit trafiquant de rue à vélo cachant son stock dans un appartement miteux jusqu'au fournisseur établi qui livre en voiture sur commande dans un large territoire.

«Le but était de centraliser les cas et d'essayer de retracer une signature moléculaire et chimique. Mais tous nos cas n'étaient pas pareils, c'est ça qui complique la situation», résume le Dr Jean Brochu, un coroner qui a enquêté lui aussi sur certains des décès.

Un coup dans le nid de guêpes

Puisque les analyses en laboratoire ne permettaient pas de désigner un coupable, le SPVM a adopté une stratégie plus large: le coup de pied dans le nid de guêpes des trafiquants. Les policiers ont arrêté 29 d'entre eux au cours de 11 opérations distinctes.

«On les a brassés pas mal, il y en a sûrement qui ont compris le message», commente une source policière.

La campagne de sensibilisation lancée par la Direction de la santé publique et les organismes d'aide aux toxicomanes a aussi certainement eu son effet. Les autorités médicales confirment que la situation est rentrée dans l'ordre au mois de juillet.

Leçons à tirer

Mais selon la Dre Marie-Ève Morin, spécialiste en toxicomanie à la Clinique OPUS, Montréal n'a pas encore tiré les leçons nécessaires de la série de décès récents. «Il y a trois choses à retenir, à mon avis. Récemment, à Vancouver, ils ont eu une vague de surdoses d'héroïne et les gens ont été sauvés parce qu'ils étaient dans un site d'injection spécialisé. Ici, on attend encore parce que personne ne veut le site près de chez lui», explique celle qui a perdu certains patients au début de l'été.

«Aussi, ça n'a pas de bon sens qu'on n'ait pas encore distribué de naloxone [un antidote aux surdoses d'héroïne] aux intervenants en toxicomanie de rue et aux patients héroïnomanes. Ça prend seulement une heure apprendre à administrer ça! Et finalement, il faut aussi augmenter le nombre de médecins prescripteurs de méthadone, car il n'y a pas assez de patients qui y ont accès», affirme-t-elle.