Les autorités de la prison d'Orsainville, la Sûreté du Québec et même le juge Louis Dionne savaient que les trois dangereux détenus qui sont en fuite depuis le 7 juin complotaient pour s'évader. Leurs conditions de détention ont été malgré tout assouplies avant leur évasion par hélicoptère.

Louis Dionne a levé hier l'ordonnance de non-publication sur la totalité de ses jugements du 24 mars dernier. Jeudi, à la suite d'une levée partielle, on a appris que contrairement à ce que disait la ministre de la Sécurité publique Lise Thériault, le juge n'a pas ordonné l'abaissement de la cote de sécurité des prisonniers, dont le procès pour trafic de stupéfiants, à la suite de l'opération Écrevisse, a lieu présentement.

Cette fois, les nouvelles informations confirment que les autorités carcérales et policières savaient que Denis Lefebvre, Yves Denis et Serge Pomerleau préparaient un complot d'évasion, comme l'ont écrit La Presse et Le Soleil la semaine dernière.

Dans son jugement du 24 mars, Louis Dionne explique que les détenus se trouvent alors dans la section la plus restrictive de l'établissement avec une cote de sécurité S5. 

«Le classement des requérants dans ce secteur découle de renseignements transmis aux autorités carcérales par les policiers de la Sûreté du Québec concernant un possible complot d'évasion visant ces derniers, peut-on lire. C'est à partir de ces renseignements obtenus de la Sûreté du Québec que les autorités de l'établissement de détention de Québec ont mis en place les mesures préventives que l'on connaît pour mieux encadrer et dissuader les requérants de toute action inappropriée, soit en définitive pour des motifs de sécurité.»

Demande des détenus

Dans leur requête, les détenus se plaignaient de leur classement. Les mesures de sécurité associées à la cote S5 sont, entre autres, les menottes, un bloc couvre-menottes, une chaîne aux chevilles et une chaîne de relais. Les détenus voulaient que le juge ordonne à l'établissement de les transférer dans un autre secteur, afin «d'avoir le droit à une défense pleine et entière».

Louis Dionne considère alors que «rien dans la loi ou le règlement n'interdit à la direction de l'établissement d'agir comme elle l'a fait dans les circonstances en regard du classement des requérants à leur arrivée».

Selon le juge, «les requérants n'ont pas [...] démontré l'existence d'un risque assez grave ou encore d'une forte probabilité d'atteinte à leur droit d'une défense pleine et entière permettant d'ordonné à l'intimité [le centre de détention] de transférer les requérants dans un autre secteur, ne voyant pas pour l'instant de violation aux droits constitutionnels des requérants à une défense pleine et entière». 

Cependant, Louis Dionne a accepté certaines demandes des détenus, mais il n'a pas touché à la cote de sécurité. Il a d'ailleurs souligné qu'il «doit intervenir, non pas pour s'immiscer dans la gestion quotidienne de la sécurité de l'établissement de détention de Québec, à ce moment-ci, mais pour assurer aux requérants un procès équitable».

Le juge a noté que la cote S5 est «un classement temporaire réévalué hebdomadairement». 

«Tel qu'il a été expliqué aux requérants, à leur arrivée [autour du 10  mars], les personnes incarcérées de ce département ont l'obligation d'adopter des comportements adéquats dans le but d'avoir l'opportunité de réintégrer un département régulier».

Cote abaissée

Comme l'ont indiqué La Presse et Le Soleil la semaine dernière, un gestionnaire du centre de détention responsable du secteur a signé un document, le 26 mars, dans lequel il abaissait la cote d'Yves Denis, la faisant passer de S5 à S3, ce qui l'a libéré des chaînes et des blocs de sûreté, mais pas des menottes. Cette note a été consultée par une source très au fait du dossier, qui signale que les deux autres membres du trio ont eu droit au même traitement. Puis, le 1er avril, un autre gestionnaire du centre a décidé de diminuer encore la sécurité entourant Yves Denis. 

Cette fois, il n'était plus soumis à aucune contrainte, puisqu'il n'avait plus de menottes. Ce gestionnaire, qui occupait son poste par intérim, a recommandé ensuite que le détenu soit placé dans un secteur ordinaire, c'est-à-dire qu'il puisse circuler librement.

C'est grâce à cette dernière décision, prise pour Yves Denis, mais appliquée à ses deux acolytes, que le trio a eu accès à la cour F-nord du Centre de détention de Québec, un espace qui est beaucoup moins sécurisé que ceux auxquels ont accès les détenus ayant la cote S5. C'est à cet endroit qu'un hélicoptère a cueilli les trois hommes.

- Avec Daniel Renaud

Malgré les risques, oui à un ordinateur portable

Le juge Louis Dionne avait permis à l'un des trois détenus qui se sont évadés le 7 juin d'avoir un ordinateur portable dans sa cellule, même s'il savait pour le complot d'évasion et malgré les objections de la prison d'Orsainville.

Dans l'un de ses deux jugements du 24 mars, le magistrat répondait à une requête de Serge Pomerleau, accusé de trafic de stupéfiants, tout comme les deux autres évadés Denis Lefebvre et Yves Denis. Le prisonnier demandait d'avoir accès non pas seulement au poste d'informatique sécurisé du centre de détention, qu'il utilisait déjà, mais aussi à un ordinateur portable «dans sa cellule et à l'audience afin de pouvoir préparer sa défense».

Selon la Couronne et les autorités de la prison d'Orsainville, «l'introduction d'un ordinateur portable à l'établissement de détention de Québec pose des risques quant à la capacité qu'un tel appareil peut avoir pour communiquer avec l'extérieur», peut-on lire dans le jugement. 

Mais Louis Dionne rejette ces arguments. Selon lui, la preuve présentée par les autorités carcérales «est plutôt mince et se limite aux risques de communication avec l'extérieur et au fait qu'il peut être utilisé comme une arme». Il «ne peut conclure que l'octroi d'un ordinateur portable au requérant pose des problèmes de sécurité», puisqu'il y aurait désactivation des fonctions de communication. Le juge ordonne donc que Serge Pomerleau puisse avoir accès à un ordinateur portable dans sa cellule. Il exige au détenu de «payer pour l'acquisition de l'ordinateur», «équipé uniquement des logiciels nécessaires à la préparation de sa défense». Il lui demande de voir, «à ses frais, à la désactivation de toutes fonctions de l'ordinateur portable permettant une communication avec autrui». Enfin, il ordonne à l'accusé de soumettre son ordinateur au centre de détention pour que celui-ci vérifie que les fonctions en question ont bien été désactivées.

Requête antérieure similaire

Le juge Richard Grenier avait accepté une requête de Serge Pomerleau le 13 décembre 2012 pour lui permettre d'avoir un ordinateur portable lorsqu'il était détenu à Amos. Mais «cet ordinateur portable, acheté par le requérant, ne lui a pas été remis par les autorités carcérales de l'établissement d'Amos, car il n'a pas été sécurisé convenablement», peut-on lire dans la décision de Louis Dionne.

On ignore si l'ordinateur portable a joué un rôle dans l'évasion. La Presse a déjà révélé que M. Pomerleau avait utilisé un téléphone cellulaire caché dans sa cellule du centre de détention de Rivière-des-Prairies, où il se trouvait l'automne dernier avec ses présumés complices.