Valérie Poulin Collins est accusée d'avoir enlevé un bébé dans un hôpital de Trois-Rivières, le 26 mai. Cette histoire a provoqué une onde de choc. Qui est Valérie Poulin Collins? Quand sa vie a-t-elle basculé? Notre journaliste Michèle Ouimet a passé deux jours à Trois-Rivières pour essayer de comprendre pourquoi une femme de 21 ans aurait kidnappé un poupon. Histoire d'une dérive.

Des articles de bébé partout: un berceau, du linge, un parc, une chaise haute, une marchette, une balançoire, un siège d'auto et des jouets, beaucoup de jouets. Des articles dispersés dans les trois pièces du minuscule appartement de Valérie Poulin Collins, accusée d'avoir kidnappé un bébé naissant dans un hôpital de Trois-Rivières.

Ce rappel lancinant d'un bébé est troublant. Il souligne à grands traits son obsession, celle d'avoir un enfant, peu importe le prix. Une obsession à l'état brut, confirmée par des proches.

C'est dans ce trois-pièces étriqué que la police a arrêté Valérie, qui s'y serait réfugiée avec le poupon de Mélissa McMahon. Un appartement situé au deuxième étage d'un immeuble où elle vivait seule avec ses chiens, sa détresse et ses idées suicidaires. Elle habitait le numéro 13, un chiffre prédestiné, comme si le destin se moquait d'elle.

Selon l'accusation, Valérie l'a eu, son bébé, sauf que c'était celui d'une autre. Elle lui avait même donné un nom: Kaïli.

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Guylaine Drouin est secouée. Une semaine après les événements, tout lui semble irréel: Valérie, sa «petite Valérie», qui se serait déguisée en infirmière pour kidnapper un bébé, son arrestation, sa vie étalée dans les journaux, la famille bouleversée. Un choc, comme un tremblement de terre.

Il pleut, une pluie drue, serrée, qui brouille le paysage. Guylaine Drouin est assise dans son auto devant sa maison, moteur éteint. Elle attend que la pluie se calme avant de rentrer chez elle avec ses sacs d'épicerie. L'eau tambourine sur le toit de la voiture, les vitres sont embuées.

Guylaine Drouin se vide le coeur, elle déverse le trop-plein d'émotions qui la chavire. Son âme ressemble à la pluie qui tombe comme des coups de poing. Même si elle n'est qu'une cousine de la famille, elle a établi un lien privilégié avec Valérie. «J'étais sa mère spirituelle, dit-elle. Elle venait me voir, on jasait gros. On était proches, j'étais sa confidente. Je lui remontais son petit moral.»

Guylaine Drouin soupire en fixant les gouttes d'eau qui s'écrasent sur le pare-brise. «Valérie ne vit pas, elle survit. C'est pas d'hier qu'elle est malade et c'est pas la première fois qu'elle va chez le psychiatre. Elle a fait beaucoup de tentatives de suicide. Elle a un mal de l'âme. Pauvre Valérie, elle veut sauver le monde, mais elle est pas capable de se sauver elle-même.»

Valérie vivait le syndrome de la porte tournante: une tentative de suicide, une visite à l'hôpital, un retour rapide, trop rapide, dans sa vie, sa routine. Et le cycle infernal reprenait: mal de vivre, crise, tentative de suicide, hôpital, trousse de médicaments. Elle se retrouvait seule dans son appartement à broyer des idées noires.

«Sa mère la rentrait en psychiatrie, raconte Guylaine Drouin. C'était à eux [les médecins] de s'en occuper, mais ils la sortaient quelques jours plus tard avec des pilules. Elle était laissée à elle-même. Elle avait quand même pas un mal de tête! C'est-tu des incompétents, les médecins? Ils devaient voir qu'elle avait mal. Ils auraient pas dû la laisser sortir. J'espère qu'ils vont l'encadrer et regarder son âme. Il faut qu'ils la soignent, il faut pas qu'ils la laissent.»

Valérie n'aurait pas un cancer, contrairement aux rumeurs, mais une masse: un adénome hypophysaire (voir capsule), une tumeur bénigne sur la glande hypophyse, située à la base du cerveau.

Elle prenait des médicaments, ce qui explique son visage enflé, ses kilos en trop et le contraste déroutant entre la Valérie sur Facebook, souriante, cheveux coiffés, visage maquillé, et la Valérie qui a comparu au palais de justice le regard vide, le visage bouffi.

Valérie a toujours été mince, comme ses soeurs, mais elle flirtait avec l'anorexie. Au cégep, elle pesait à peine 80 livres.

Deux jours avant les événements, Guylaine Drouin a appelé Valérie pour lui souhaiter joyeux anniversaire. C'était le 24 mai, le jour de ses 21 ans. Valérie lui a parlé de sa tumeur. «Le médecin lui a dit que c'était opérable.»

Guylaine était inquiète. «Valérie était à plat. Je voyais bien qu'elle était malheureuse. Elle se donnait à fond à l'école, au travail. Elle voulait tellement! Elle était vraiment à boutte. Elle a un gros mal de vivre!»

- Pourquoi aurait-elle volé un bébé?

- J'aimerais ça le savoir, répond-elle. Est-ce qu'elle était consciente de son geste? On le sait pas. Ce qu'elle a fait est impardonnable. Pourquoi, mais pourquoi elle a fait ça?

Guylaine Drouin n'est pas la seule à se poser des questions sur la dérive de Valérie. Au cégep de Trois-Rivières, un membre du personnel ne comprend pas pourquoi les médecins ne l'ont pas prise en charge. «Elle entrait en psychiatrie et elle sortait deux jours plus tard. On la retournait dans son milieu, dans son bobo, sans rien régler. J'en revenais pas! J'étais très inquiet.»

Valérie était une bombe à retardement que les médicaments n'arrivaient pas à désamorcer.

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Les derniers mois ont été difficiles pour Valérie. Son copain l'a quittée, ils étaient ensemble depuis une couple d'années. Peu après, en novembre, elle a essayé de se tuer en s'enfonçant dans les eaux du fleuve Saint-Laurent. Un adepte de kitesurfing l'a sauvée.

Charelle Bergeron était son amie, une amitié difficile, lourde à porter. Elles étudiaient ensemble au cégep de Trois-Rivières en travail social. «À l'école, elle était timide, renfermée, isolée, raconte-t-elle. T'avais pas envie d'aller au-devant d'elle.»

Une fois apprivoisée, Valérie sortait de sa réserve. «C'était une bonne personne, elle avait un grand coeur.»

Valérie prenait soin d'elle: maquillée avec soin, faux ongles. Elle portait des souliers de ballerine et des vêtements aux «couleurs joyeuses», bleu, blanc, rose. Mais elle n'arrivait pas à dompter ses démons. Quand elle était au bout du rouleau et que des idées suicidaires lui traversaient l'esprit, elle se tournait vers Charelle.

«Elle me disait: «Viens me voir.» Parfois, quand j'arrivais, elle n'était plus là. Elle avait de gros problèmes de vie. Elle faisait du déni.»

Charelle a appelé la police à quelques reprises parce que Valérie menaçait de se tuer.

Le lendemain de sa tentative de suicide dans le fleuve, Charelle l'a visitée à l'hôpital. «Elle était triste. C'est la dernière fois que je l'ai vue.»

Charelle avait besoin de prendre du recul. Cette amitié avec une amie sombre, tourmentée et suicidaire l'épuisait.

Valérie a quitté le cégep. Elle a pris un long congé. Elle travaillait dans un dépanneur avec Steven Pageau. Ils ne se fréquentaient pas en dehors du travail. Valérie ne se confiait pas. Ou si peu. Deux semaines après avoir plongé dans les eaux du fleuve, elle est revenue travailler au dépanneur. Peu de temps après, elle a envoyé à Steven un texto désespéré: «Ça va vraiment pas. Je suis plus capable de vivre.»

«C'était un appel à l'aide, affirme Steven. Des fois, je lui demandais si ça allait mieux. Elle me disait oui. La plupart du temps, elle était souriante et gentille. Des policiers sont déjà venus la chercher au dépanneur. Elle s'était chicanée avec son chum. Elle lui avait dit: «Je vais me suicider.» Il a eu peur et il a appelé la police.»

Le chum, la rupture, la peine d'amour.

Au cours de l'hiver, elle a eu un accident d'auto. Elle était seule dans sa voiture. Une plaque de glace. Un choc, un autre. Elle a porté un collier cervical, elle avait mal au dos et sa cheville était fracturée.

Son âme aussi était fracturée.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Valérie Poulin Collins habite l'appartement 13, situé au deuxième étage de cet immeuble à Trois-Rivières.

Photo Sylvain Mayer, Le Nouvelliste

Les médicaments prescrits par ses médecins lui ont fait prendre plusieurs kilos.

«Laissez-nous tranquilles»

La famille de Valérie Poulin Collins n'a pas voulu donner d'entrevue. Ni la mère, ni le père, ni les trois soeurs et les deux frères.

La mère vit dans un quartier tranquille de Trois-Rivières. Elle est ostéopathe. Une maison en brique blanche avec une cour, une entrée en asphalte et un panier de basket.

Le père vit à un coin de rue. Une maison plus coquette aux volets fermés et aux rideaux tirés.

La fille aînée, Marie-Lou, reste tout près, dans une maison en brique rose qui a encore des lumières de Noël accrochées au porche. Quand on sonne, un gros chien se précipite dans le vestibule en jappant.

J'ai croisé une des soeurs de Valérie, Catherine. Elle vit chez sa mère. Silhouette filiforme, lunettes fumées, visage fermé. Elle a répondu à mes questions du bout des lèvres, sans oser me demander de partir. La mère, Chantal Poulin, a été plus directe. Elle n'en peut plus des journalistes qui décortiquent la vie de sa fille. «Laissez-nous tranquilles», m'a-t-elle dit avant de refermer doucement la porte de sa maison.

Qu'est-ce que l'adénome hypophysaire?

L'adénome hypophysaire est une tumeur bénigne qui se développe sur l'hypophyse, une glande située à la base du cerveau. L'hypophyse, une glande maîtresse, envoie des messages aux six autres glandes du corps humain. «Trois pour cent de la population a une telle tumeur», explique le Dr Jean Palardy, médecin endocrinologue. Les symptômes varient en fonction de la grosseur de la tumeur. Si elle est très grosse, elle peut comprimer le nerf optique et compromettre la vision latérale.

«Dans 99% des cas, l'adénome hypophysaire n'affecte pas le comportement», précise le Dr Palardy.

Est-ce qu'un adénome hypophysaire peut être cancéreux ?

Oui, mais c'est très rare, a répondu le Dr Palardy.