À l'époque où Alex Giguère et ses acolytes contrôlaient le trafic de crack au métro Berri-UQAM, son groupe réalisait 2 millions de dollars en profits annuels. Aujourd'hui, c'est exactement la somme qu'il exige de la Ville, du gouvernement du Québec et du gouvernement fédéral, en compensation pour les souffrances endurées lors de son arrestation mouvementée.

Giguère a été arrêté dans le cadre du projet Machine de la police de Montréal en juin 2009. La police l'avait identifié comme le bras droit du Hells Angel Daniel Poutine Leclerc, qui contrôlait la vente de crack autour du métro Berri-UQAM.

Ce territoire était extrêmement lucratif, les trafiquants pouvant compter sur une abondante clientèle de miséreux qui leur achetaient de 1200 à 2000 roches de crack par semaine, pour des profits annuels de 2 millions, selon la preuve exposée en cour.

Poutine Leclerc ne se montrait jamais au centre-ville. Il s'y faisait représenter par son bras droit, Alex Giguère, qui devait passer les messages du chef et régler tout problème avec les équipes de vendeurs, les comptables, les fiers-à-bras et autres commissionnaires que l'organisation chapeautait dans les édicules de métro, les parcs et les coins de rue.

Maison dans les bois

Giguère habitait bien loin de la clientèle et de l'agitation du centre-ville. Il possédait une coquette maison dans les bois, à Saint-Colomban, avec sa conjointe. Les policiers savaient qu'il avait déjà possédé une arme et que le couple avait un berger allemand. Ils savaient aussi avoir affaire à un réseau important du crime organisé, capable de recourir à la violence.

Dans la nuit du 2 au 3 juin 2009, les policiers frappent simultanément chez 27 suspects dans le cadre du projet Machine. Le Groupe tactique d'intervention de la GRC, qui assiste le SPVM dans ce dossier, s'avance en catimini vers la maison de Giguère. À l'intérieur, le chien commence à aboyer. La conjointe de Giguère, intriguée, s'approche de l'entrée avant de la résidence.

Au même moment, les policiers tirent des coups de feu dans la serrure pour défoncer la porte. La conjointe de Giguère est atteinte au bras (par des éclats, selon les policiers, par des plombs de fusil, selon elle). Elle saigne abondamment. Le chien aussi est blessé.

Les policiers lancent aussi une grenade assourdissante près de Giguère, qui se tient à proximité. Complètement sonné, il s'affaisse sur le sol.

Douleurs et choc post-traumatique

Giguère et sa conjointe estiment que la police a agi de façon abusive en entrant de force chez eux, et qu'elle aurait pu simplement les avertir de son arrivée.

Dans une poursuite déposée à la cour, ceux-ci prétendent que la femme a été gardée sur place pendant des heures, malgré ses saignements, sa douleur et ses vomissements. Lorsqu'elle a finalement été transportée à l'hôpital, elle a dû être opérée et gardée en observation pendant six jours.

Elle prétend avoir dû suivre un long processus de réadaptation et de rééducation. Elle dit aussi toujours souffrir de douleurs chroniques et d'un violent choc post-traumatique.

Alex Giguère a finalement plaidé coupable à des accusations liées au trafic de crack et écopé d'une peine de deux ans de prison. Il dit maintenant être «en transition suite à son incarcération». Il affirme aussi avoir souffert de troubles auditifs, fatigue et haute pression «causés par l'intervention abusive des agents».

Dans sa poursuite, le couple ratisse large: il estime avoir le droit de réclamer une compensation financière à la Ville de Montréal (de qui relève le SPVM), au gouvernement du Québec (parce que la Sûreté du Québec participait à l'enquête) et au gouvernement du Canada (parce que la GRC a participé au raid sur sa maison).

«La demanderesse et le demandeur réclament la somme de 2 000 000$ pour le préjudice physique et moral qu'ils ont subi en conséquence de l'opération abusive et négligente effectuée à leur domicile par les agents des défendeurs», précise la requête déposée en cour.

Les trois ordres de gouvernement n'ont pas encore présenté leur défense dans cette affaire.