Utilisation de prête-noms et de sociétés à numéro, permis donnés à des individus au passé criminel, dépassement des quotas, plantations illégales sous une couverture légitime; le crime organisé montréalais infiltre le programme fédéral de production de marijuana à des fins médicales et semble vouloir continuer à le faire malgré les tentatives de Santé Canada pour régler le problème.

La situation a pris tellement d'ampleur qu'elle est dénoncée par un grand nombre d'enquêteurs de la police et a soulevé l'ire d'un juge de la Cour du Québec lors d'une récente audience à Montréal.

«On parle de permis pour des raisons médicales. À première vue, l'accusé me semble en pleine forme, mais ce n'est pas là la question. La question, c'est quelles sont les raisons? Est-ce qu'on peut laisser entendre qu'il y a de la fraude derrière ça? Comment ont-ils obtenu les permis? Cela devra être élucidé», a lancé le magistrat au sujet d'individus liés au crime organisé montréalais arrêtés à la suite de la découverte d'une plantation de plus de 1400 plants de marijuana, 1000 de plus que ne le prévoyaient les permis en bonne et due forme qu'ils avaient obtenus de Santé Canada.

Antécédents criminels

Une interdiction de publication nous empêche de dévoiler des détails qui permettraient d'identifier les accusés ou la cause. Résumons simplement que, dans cette affaire, Santé Canada a délivré plus d'une demi-douzaine de permis de production, d'entreposage ou de possession de marijuana à des fins médicales et de consommation personnelle.

Dans certains cas, les permis ont été délivrés à des compagnies à numéro. Dans deux cas, les détenteurs ont des antécédents criminels en matière de stupéfiants ou de violence. Deux autres sont des Ontariens qui ont des permis pour produire à Montréal. Si, durant leur enquête, les policiers ont découvert dans une résidence une plantation conforme aux règles, ils en ont trouvé une autre totalement illégale dans la maison voisine: elle excédait la quantité de marijuana autorisée par la plupart des permis, dont certains, délivrés le 30 mai 2013, arrivaient à échéance le 31 mars dernier.

«Il s'agit quasiment du crime organisé qui protège sa production de stupéfiants. Ce qui étonne le Tribunal, c'est que c'est une production qui se veut légale!»

«Si Santé Canada a jugé bon d'émettre des permis, c'est qu'il y a dû, le Tribunal est convaincu de cela ou du moins l'espère, y avoir des vérifications du pedigree de ces gens-là, sinon, le voeu est formulé qu'on le fasse», a déclaré le juge, qui exprimé son étonnement à plusieurs reprises durant l'audience.

«Je me suis informé auprès de Santé Canada pour savoir si des inspecteurs s'assurent que tout est fait dans les règles de l'art. On m'a répondu qu'il n'y a aucune vérification. Ils se fient à la bonne foi des gens», a expliqué un enquêteur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) qui a témoigné dans l'affaire.

Un réflexe

Cette affaire n'est pas unique dans les enquêtes passées ou en cours au SPVM ou dans d'autres corps de police. Il n'est pas rare que les enquêteurs tombent sur des personnes qui agissent à titre de prête-noms pour des criminels, qui n'ont pas de problème de santé, ne consomment pas de marijuana et n'en ont jamais vu l'ombre d'une feuille.

En fait, le problème est tel que les policiers, dont certains enquêtent sur des individus ou des réseaux liés à différentes cellules du crime organisé, ont acquis le réflexe de communiquer avec Santé Canada avant de frapper toute plantation de marijuana.

«On fait des enquêtes sur des réseaux liés à des groupes criminels d'importance et ils ont des permis de Santé Canada. Ça n'a aucun sens», nous a confié un policier.

«Ils sont censés avoir des inspecteurs, mais ce n'est pas vrai», a renchéri un autre.

«Dans toutes les plantations que nous avons frappées et qui avaient des permis, il était très rare que la limite de plants ne soit pas dépassée», a ajouté un troisième.

«Nous savons que le problème existe, la preuve, c'est que nous avons fait le dossier dont il est question dans votre article. Cependant, nous sommes incapables de dire si c'est un cas d'espèce ou un problème plus large. Mais même si ces plantations ont des permis, cela ne nous empêche pas de faire des enquêtes», a déclaré le commandant Ian Lafrenière, de la police de Montréal.

Visiblement, les choses ne sont pas près de changer car, selon nos sources, le milieu criminel continue de se passer le mot pour trouver des prête-noms afin d'obtenir des permis de Santé Canada et de continuer ses lucratives opérations.

Nos sources dénoncent également la prolifération des plantations souvent dangereuses, qui ont fait grimper le nombre de vols qualifiés commis contre leurs propriétaires.

- Avec la collaboration de William Leclerc

Deux exemples de perquisitions

Adresse 1: 3 permis de 146 plants chacun, pour un total de 438 plants autorisés.

Sur place, découverte de 1444 plants.

Excédent: 1006 plants

Adresse 2: 116 plants, aucun permis

Antécédents du principal accusé

- Agression armée avec lésions

- Voies de fait

- Complot

- Possession de cocaïne

- Conduite avec facultés affaiblies

- Non-respect de conditions de libération

Les derniers antécédents remontent à 1997

Nombre d'appels des corps policiers à Santé Canada pour des vérifications de plantations:

2012: 247

2013: 366

2014: 399

Nombre de personnes qui possèdent un permis de production de marijuana pour usage personnel.

Au Canada: 20 279

Au Québec: 606

Nombre de personnes qui ont désigné un producteur reconnu par Santé Canada: Au Canada: 3163

Au Québec: 174

Au 31 mars 2014