Les dirigeants d'une entreprise de matériel médical auraient exploité un réseau organisé qui a soutiré plus de 2 millions de dollars à l'État québécois en réclamant à l'aide sociale le paiement de fausses factures de culottes pour des patients.

Cinq personnes seront accusées de fraude et d'usage de faux documents au terme de cette investigation, l'une des plus importantes jamais menées par les enquêteurs du ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale.

Certains bénéficiaires qui acceptaient que leur nom soit utilisé par les présumés fraudeurs recevaient des cadeaux en échange.

Hier, trois hommes ont été arrêtés en vertu de mandats d'arrestation. Le premier est Dominique Marcotte, président de Medicare Canada Inc, rue Ontario Est à Montréal. Les autres sont Yannick Dionne, directeur des achats chez Medicare, et Éric Dionne.

Ils ont été libérés sous condition et comparaîtront le 29 mai. Ils sont passibles de deux ans de prison. Deux autres personnes, René Drapeau et Francine Dubois, seront quant à elles accusées par voie sommaire.

Selon ce que La Presse a appris de sources proches de l'enquête, la fraude totaliserait plus de 2 millions de dollars entre 2007 et 2013.

Medicare fabrique et fournit un vaste éventail de produits médicaux, comme des culottes. Elle a parmi ses clients tant des hôpitaux que des particuliers. Certains prestataires de l'aide sociale se font rembourser les produits que requiert leur état de santé par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale. Dans ces cas, c'est Medicare qui réclame directement le remboursement au Ministère, en fournissant des factures portant la signature des bénéficiaires et des documents médicaux justifiant leurs besoins.

Selon la preuve, de nombreuses fausses factures ont été produites afin de frauder l'État.

En mai 2013 les enquêteurs ont effectué des perquisitions d'une rare ampleur pour ce ministère, avec l'assistance de la Sûreté du Québec et du groupe d'intervention de la police de Montréal. Ils ont fouillé les locaux de la rue Ontario Est de fond en comble, allant même jusqu'à jeter un oeil dans les chaussures orthopédiques qui y sont en vente.

PERQUISITIONS ET SAISIES

Ils ont aussi investi la maison de Dominique Marcotte, rue Sherbrooke Est, et ont fouillé un véhicule rempli de documents.

Le mandat de perquisition stipulait que les enquêteurs étaient autorisés à saisir « toutes les choses ou documents reliés à la commercialisation de fournitures de système d'élimination (ex. : culottes d'adultes, piqués lavables et jetables, cathéters, lubrifiants, serviettes nettoyantes, etc.) ».

Dans la liste des pièces saisies, déposée au palais de Justice de Montréal, on constate que des centaines de documents ont été récupérés, notamment de nombreuses factures au nom de patients, et également des documents sur les propriétés de Dominique Marcotte au Venezuela, soit un terrain, une voiture, et un investissement de 179 000 $.

C'est dans ce pays d'Amérique latine, à Porlamar sur l'île de Margarita, que Medicare aurait lancé ses activités, selon son site web. Sur un site internet du gouvernement vénézuélien, on apprend que Medicare y est enregistrée comme importatrice et exportatrice de matériel médical.

Même si des patients auraient rendu le stratagème possible en signant les fausses factures, aucun n'est accusé.

L'enquête visait les « gros joueurs, les dirigeants du réseau », et certains des patients ont aidé, nous dit une source près de l'enquête. Qui plus est, plusieurs sont très âgés et ont les facultés diminuées.

« Ce sont des personnes vulnérables », confie une autre source.

Joint par La Presse il y a quelques jours, Dominique Marcotte a refusé de commenter l'affaire. Dans le cadre d'une récente poursuite civile contre Medicare où on lui réclamait 7790 $, Dominique Marcotte a écrit dans un courriel à son avocat que son entreprise était en faillite et ne pouvait payer la somme réclamée à moins de conclure rapidement un contrat avec des hôpitaux.

« Si nous n'obtenons pas les contrats, nous devrons déclarer faillite », écrivait Marcotte.

Des clients gourmands

Argent, ordinateurs, meubles, et même un pèse-personne, les exigences des clients de Medicare au nom desquels de fausses réclamations auraient été faites étaient très variées, selon les documents saisis par les enquêteurs lors des perquisitions au commerce et chez son dirigeant.

Certains étaient parfois mécontents des délais pour obtenir leur compensation. C'est l'objet d'un courriel intitulé « clients pas contents » de Yannick Dionne à Dominique Marcotte, en octobre 2012. « Liste de clients qui ne veulent plus attendre pour leur marchandise = Mme A (TV 32'') ; Mme B (TV 40'') ; M. A (veut deux ordinateurs portables) ; Mme C (4 matelas + housse à matelas et oreillers) ; Mme D et M. B (frigidaire) », lit-on dans ce courriel desquels nous avons retiré les noms.

On lit aussi dans ce courriel que « tous ces clients menacent de ne plus signer leurs factures tant et aussi longtemps qu'ils ne reçoivent pas leurs produits ». Des factures d'achats dans des magasins de meubles et des bons de livraison ont également été saisis.