Pendant des années, il était resté sous le radar des autorités. Fraude par-dessus fraude, il avait bâti une organisation criminelle solidement enracinée dans l'industrie de la construction. Il la gérait comme un seigneur, retiré dans ses domaines de part et d'autre du fleuve Saint-Laurent. Aujourd'hui, la chute est brutale: Normand Dubois vient de prendre la direction du pénitencier pour plus de six ans et le fisc est en train de liquider jusqu'à la dernière miette de son immense fortune.

«C'est une bonne peine», a dit fièrement la procureure Maryse Trudel, du Bureau de lutte aux produits de la criminalité, lorsque jointe par La Presse.

Normand Dubois a plaidé coupable à une kyrielle d'accusations, dont gangstérisme, qui lui ont valu six ans et demi de prison. Sa conjointe et complice, Sylvie Leduc, a écopé de deux ans et demi de détention. Les deux enfants du couple, Marie-Claude et Philippe, sont toujours en attente de procès pour l'assistance qu'ils auraient fournie au gang de leurs parents. La sentence pourrait avoir un impact sur les perspectives d'emploi de Marie-Claude Dubois, qui étudie en génie de la construction.

Après avoir vécu dans le luxe, la famille tombe de haut. Car Normand Dubois était déjà extrêmement riche lorsqu'il a commencé à attirer l'attention des autorités.

En avril 2010, Revenu Québec avait alerté la police après avoir découvert 25 entreprises, principalement actives dans l'industrie du coffrage, qu'elle soupçonnait d'avoir fraudé l'impôt pour 20 millions de dollars.

Gang de cols blancs

La Direction des enquêtes sur la criminalité financière organisée de la Sûreté du Québec a alors mis en branle le projet Garrot, et découvert qu'un gang bien structuré de criminels à col blanc se cachait derrière le stratagème. Celui-ci avait une ampleur insoupçonnée.

L'organisation comptait sur plusieurs entreprises qui n'étaient que des coquilles vides et fournissaient de fausses factures à de vrais entrepreneurs pour frauder le fisc et déduire une foule de dépenses fictives de leurs bilans annuels. Les coquilles étaient aussi utilisées pour louer à grande échelle de la main-d'oeuvre payée au noir en évitant de payer les déductions à la source pour la CSST ou les autres organismes gouvernementaux.

Les coquilles avaient une durée de vie moyenne d'un an ou deux. Si le gouvernement s'intéressait trop à elles, elles fermaient leurs portes et disparaissaient, avant de reprendre leurs activités frauduleuses sous un autre nom. Elles étaient habituellement dirigées par des prête-noms sans le sou qui se faisaient payer un véhicule, un cellulaire et des bonis de Noël en échange de leur collaboration avec le gang.

Normand Dubois

Au sommet de l'organisation trônait Normand Dubois, un homme d'affaires discret et sans antécédent criminel. Dubois possédait deux grands domaines, d'où il gérait ses affaires: l'un à Saint-Joseph-du-Lac, dans la couronne nord, et l'autre à Ormstown, sur la Rive-Sud. Il se déplaçait en Jaguar, en BMW, en Mercedes et même... en hélicoptère. Ses terres abritaient une grande quantité d'outils, de machinerie lourde, de véhicules ainsi que des garages, un verger, une érablière et une cabane à sucre.

«Il bougeait énormément d'argent, mais on aurait dit que personne n'avait jamais entendu parler de ce gars-là. Même l'équipe de [Jacques] Duchesneau n'avait rien ramassé sur lui en préparant leur rapport sur la construction au Québec», raconte une source impliquée dans le dossier.

Dans la peur

Selon une source qui l'a fréquenté à l'époque, Dubois vivait dans la peur de perdre ses acquis. Il craignait que les messagers qui transportaient l'argent comptant pour payer les travailleurs au noir se fassent voler. Il craignait que la police ne le place sur écoute. Mais aussi, il craignait que le gouvernement ne déclenche une enquête publique sur l'industrie de la construction, ce qui allait se concrétiser en novembre 2011, quelques jours avant son arrestation.

Lorsque la police l'a arrêté, Dubois a été incapable de se tenir tranquille. Il voyait le fisc tenter de mettre la main sur ses avoirs. Selon la preuve déposée en cour, lui et sa conjointe ont alors entrepris de vider les comptes d'une des entreprises familiales de construction alors même qu'ils venaient de la placer sous la protection de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Ils en ont sorti 2,6 millions, dont une grande partie en argent comptant, qui a été soustraite frauduleusement aux créanciers de l'entreprise dans la faillite.

Mais la manoeuvre a été découverte. En cour, Dubois s'est retrouvé devant une preuve écrasante. Il a plaidé coupable.

Revenu Québec, bien décidé à récupérer les millions que le gang lui avait fait perdre, a inscrit des hypothèques légales sur la quasi-totalité des biens de Dubois. Le domaine de Saint-Joseph-du-Lac a été vendu sous contrôle de justice à des vignerons, alors que celui d'Ormstown devrait être vendu sous peu.

Tout l'alcool saisi chez Dubois a aussi été vendu par l'entremise de la SAQ, soit plus de 164 bouteilles. D'autres biens de valeur devraient suivre éventuellement.

Sylvie Leduc