Pendant 23 ans, Gilles Vaillancourt a régné sans partage sur Laval. Son administration a été marquée par au moins un rapport accusateur et des allégations de favoritisme et de détournements de fonds. Mais rien n'est parvenu à secouer le joug d'un maire souvent qualifié de monarque, qui avait des yeux sur tout, partout, dans son île, sa ville. En six mandats, il a traversé toute une succession de controverses au vu et au su des nombreux gouvernements qui se sont succédé à Québec, sans jamais que son influence, ni sa probité, soient remises en question. La Presse fait ici un bref retour sur les «affaires» qui ont marqué son régime.

L'ascension

Après sa première élection à la mairie, en 1989, des allégations de détournement de fonds et de fraudes qui pèsent sur la Société de transport de Laval (STL) ne l'atteignent pas. Mais les dépassements des coûts du Cosmodôme, qui passent de 22 à 32 millions, égratignent son premier «grand projet».

Peu avant, les transactions touchant un terrain sur lequel la Défense nationale a jeté son dévolu pour la construction d'un manège militaire mettent en cause un avocat proche de la famille Vaillancourt. Me Robert Talbot (arrêté hier) rachète les parts de la famille dans un terrain du boulevard Le Carrefour, qui est revendu quelques mois plus tard à la Défense pour deux millions de dollars. Le choix de ce terrain, apprendra-t-on plus tard, a été fortement influencé par la Ville de Laval.

Ces «affaires» n'empêchent pas le maire Vaillancourt de remporter son deuxième mandat à la mairie avec une facilité relative, en 1993. Mais les controverses le poursuivent. Plus de la moitié des 820 contrats accordés par la Ville, entre 1990 et 1994, connaît des dépassements de coût.

Le cas de Poly Excavation (dont un dirigeant, Marc Lefrançois, a été arrêté hier) est particulièrement frappant. L'entreprise a obtenu 27 contrats de la Ville sur une période de 3troisans. Dans 15 cas, les travaux réalisés lui valent des «extras» totalisant 2,4 millions.

En 1995, La Presse révèle que chaque semaine depuis 1991, les locaux de l'hôtel de ville font l'objet de balayage électronique pour des raisons de «sécurité». L'administration lavalloise craint qu'on l'espionne en cachant des micros dans les salles de conférence. C'est une entreprise appartenant à Claude Dumont, principal organisateur électoral du parti du maire, qui effectue cette surveillance électronique. Dumont touchera 145 000$, entre 1991 et 1994, pour ses services. La Ville de Laval met fin à son contrat, peu après les révélations de La Presse, pour confier ce travail à la police.

La gloire

Des allégations de favoritisme touchant des contrats attribués sans appels d'offres à des firmes d'urbanisme et de gestion des ressources humaines suscitent ensuite l'impatience du gouvernement de Lucien Bouchard. Celui-ci commande une vérification «externe» au comptable et ancien maire de Joliette, Jacques Martin, proche du ministre des Affaires municipales, Guy Chevrette.

Le «rapport Martin» confirme toutes les allégations et recommande même à Québec d'effectuer des recherches approfondies sur ces sujets. Québec ne donnera jamais suite aux recommandations. Gilles Vaillancourt sera réélu en 1997, avec une opposition plus substantielle au conseil.

Son rapprochement avec le gouvernement Bouchard lui vaudra toutefois un mandat glorieux.

En 1998, quelques semaines avant le déclenchement des élections provinciales, Lucien Bouchard annonce le prolongement du métro vers Laval, alors qu'aucun projet de cette envergure n'a été envisagé, ni par la STM, qui gère le métro, ni par l'Agence métropolitaine de transport.

En 2000, Guy Chevrette, devenu ministre des Transports, publie un plan de transport qui ouvre la porte à un autre grand rêve du maire Vaillancourt après l'obtention du métro. Il y aura un nouveau pont entre Montréal et Laval, dans le prolongement de l'autoroute 25. Un pont dont Montréal ne veut pas, mais qui lui sera imposé par décret par le gouvernement de Jean Charest, six ans plus tard.

En moins d'un mandat, Gilles Vaillancourt vient de satisfaire aux deux revendications historiques de Laval qui rêve de ce pont et du métro depuis 30 ans. Aux élections de 2001, le maire Vaillancourt sera réélu sans aucune opposition au conseil municipal. Aucun candidat d'une autre formation que le PRO des Lavallois n'a été élu à Laval depuis 12 ans.

La chute

Les contrecoups d'un drame terrible, survenu à l'été 2000, jettent toutefois une ombre sur la Ville de Laval. En pleins travaux de construction, un viaduc du boulevard du Souvenir s'effondre sur l'autoroute 15. Un homme est tué net, écrasé sous des tonnes de béton. Deux autres hommes sont gravement blessés.

Il s'agit d'un projet du ministère des Transports du Québec. Mais la gestion du projet a été déléguée à la Ville de Laval. Ce n'est pas exceptionnel. Un an plus tôt, le gouvernement a aussi cédé la construction d'une usine d'épuration à Laval. Ce sont des entreprises proches de la mairie (Dessau, CIMA", les architectes Giasson Ferragut, etc.) qui obtiennent, dans les deux cas, les contrats les plus intéressants. Ce sera aussi le cas pour le métro de Laval.

Rien ne semble toucher le tout-puissant maire, qui siège au conseil d'administration d'Hydro-Québec, et qui est porte-parole d'une coalition d'entreprises de construction, pour laquelle il réclame plus d'argent pour les infrastructures.

Mais en novembre 2010, l'ex-ministre Serge Ménard révèle que le maire Vaillancourt lui a offert une grosse enveloppe bourrée d'argent lors de sa première élection au début des années 90. Un député libéral confesse la même chose, dans la foulée de M. Ménard. Le maire ne s'en remettra pas.

Au cours des deux années qui suivent, les soupçons concernant la collusion entre des entrepreneurs en construction se multiplient. Les langues commencent à se délier après des années de silence.

L'escouade Marteau est en marche. Des perquisitions s'enchaînent dans les bureaux d'ingénieurs, les entreprises de construction, et même à l'hôtel de ville. Le maire clame qu'il va rester.

Ce n'est qu'après la saisie de coffrets de sûreté remplis d'argent enregistrés à son nom dans plusieurs institutions financières de Laval, que le maire Vaillancourt finira par jeter l'éponge en novembre 2012. Son règne aura duré 23 ans.