Le gouvernement Trudeau se retrouve dans une position délicate alors qu'il s'apprête à aller en Cour suprême pour contester une loi fédérale qui a été appuyée par une majorité de députés de son propre parti.

La ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, a annoncé que le gouvernement a l'intention de demander l'avis du plus haut tribunal du pays pour déterminer la constitutionnalité d'une loi visant à prévenir la discrimination génétique.

Plus d'une centaine de députés libéraux se sont joints aux conservateurs et aux néo-démocrates pour appuyer le projet de loi, mercredi, malgré les avertissements de la ministre et du premier ministre Justin Trudeau selon lesquels celui-ci serait inconstitutionnel.

Selon Emmett MacFarlane, un politologue de l'Université de Waterloo spécialiste du droit constitutionnel et de la Cour suprême, trouve qu'il s'agit «certainement d'une situation bizarre» qui lui semble «sans précédent».

M. MacFarlane souligne qu'il ne se souvient pas d'un tel cas, où le Parlement a passé une loi contre la volonté d'un gouvernement qui détient la majorité parlementaire et où ce même gouvernement contestera devant les tribunaux l'intervention du gouvernement fédéral.

Dans sa forme actuelle, la mesure législative S-201 interdirait aux entreprises - le texte n'en fait pas mention, mais il est question des compagnies d'assurance - d'exiger, avant de conclure un contrat, que le consommateur subisse un test génétique ou qu'il fournisse les résultats d'un tel test.

Elle proscrirait aussi le partage de résultats de tests génétiques sans un consentement écrit, bien qu'il y ait des exceptions pour les médecins et les chercheurs.

Le gouvernement fédéral soutient qu'il ne peut légiférer dans le domaine des assurances, puisqu'il s'agit d'une compétence provinciale.

Des députés libéraux qui ont appuyé la loi ne se sont pas montrés outrés du fait que leur gouvernement conteste une loi qu'ils ont adoptée au Parlement.

«De toute façon, nous savions avec les déclarations de l'industrie de l'assurance que quelqu'un allait contester la constitutionnalité de la loi», a indiqué Anthony Housefather, député libéral à la tête du Comité permanent de la justice qui a refusé d'amender le projet de loi pour s'adapter aux demandes du gouvernement après qu'il eut entendu un expert qui disait que le texte respectait la Constitution.

Ce renvoi à la plus haute cour du pays «signifie que nous aurons une réponse de la Cour suprême beaucoup plus rapidement que si une contestation avait été intentée à une cour inférieure par l'industrie ou un individu», a ajouté M. Housefather.

Dans son dernier renvoi portant sur le Sénat, la Cour suprême avait pris plus d'un an avant de rendre sa décision. Le renvoi sur la sécession du Québec avait nécessité deux ans.

Mme Wilson-Raybould a indiqué qu'elle attendrait que le «processus parlementaire» se conclue avant de faire son renvoi à la Cour suprême.

M. Housefather et ses collègues libéraux présument que la loi sera promulguée après l'approbation du Sénat, qui a déjà adopté la loi à l'unanimité, mais qui doit donner son aval à un amendement mineur proposé par la Chambre des communes.

Mais cela est loin d'être certain. L'expert en procédures parlementaires Ned Franks indique qu'il est possible que le gouvernement tarde avant de demander au gouverneur général d'accorder la sanction royale pour attendre la décision de la Cour suprême.

Dans cette optique, si le tribunal ne rend pas sa décision avant les prochaines élections prévues à l'automne 2019, la loi mourra au feuilleton.