L'humoriste Mike Ward a outrepassé les limites de son droit à la liberté d'expression « de façon intentionnelle » et a fait preuve d'une discrimination « injustifiée » à l'endroit de Jérémy Gabriel pendant son spectacle, a tranché mercredi le Tribunal des droits de la personne. Il a ainsi été condamné à verser 35 000$ à Jérémy Gabriel et 7000$ à sa mère Sylvie Gabriel en dommages punitifs et moraux.

Dans un spectacle présenté plus de 200 fois entre 2010 et 2013, Mike Ward consacrait un numéro aux artistes québécois « intouchables », dont Jérémy Gabriel, surnommé le « Petit Jérémy ». Il le qualifiait notamment de « lette » et de « pas tuable », alors qu'il le croyait pourtant « mourant » cinq ans plus tôt. Le jeune homme, maintenant âgé de 19 ans, est connu du public pour avoir participé à des émissions de télévision et pour avoir chanté devant le pape en 2006. Il souffre du syndrome de Treacher-Collins, qui peut causer des malformations à la tête et une surdité grave.

Le juge Scott Hughes n'a pas retenu la défense de Mike Ward, basée sur la liberté d'expression et sur le caractère « artistique et humoristique » de ses blagues. Il conclut dans son jugement que les plaisanteries de l'humoriste visant l'« apparence physique caractérisée par [le] handicap » de Jérémy Gabriel sont « discriminatoires » et ont porté atteinte au respect de sa dignité et de sa réputation.

« Les propos de M. Ward selon lesquels Jérémy est ‟lette", a un ‟subwoofer sur la tête" et a une ‟petite bouche qui ne ferme pas" atteignent le degré de gravité exigé par la Cour d'appel. Jérémy a longuement témoigné au sujet de la détresse que ces propos [...] ont engendrée chez lui et ses parents », écrit le juge dans sa décision de 33 pages. Jérémy Gabriel soutient s'être replié sur lui-même et avoir développé des idées suicidaires en raison des blagues de l'humoriste.

Malgré sa large portée, la liberté d'expression n'est pas un « droit absolu », rappelle le juge Hughes, en citant la Cour suprême. Ainsi, le contexte « humoristique » et « artistique » des propos tenus par Mike Ward ne lui permettait pas de tenir ces propos discriminatoires contre Jérémy Gabriel, d'autant plus que ces blagues ne « soulèvent pas une question d'intérêt public ».

« Des propos inacceptables en privé ne deviennent pas automatiquement licites du fait d'être prononcés par un humoriste dans la sphère publique. Plus encore le fait de disposer d'une tribune impose certaines responsabilités. Un humoriste ne peut agir uniquement en fonction des rires de son public ; il doit aussi tenir compte des droits fondamentaux des personnes victimes de ses blagues », soutient le juge.

L'avocat de Mike Ward, Me Julius Grey, se dit en « désaccord total » avec le jugement et a déjà obtenu le mandat de le porter en appel. « Je réserve mes arguments pour la Cour d'appel, mais je peux vous dire qu'il serait de toute façon inutile de dépecer le jugement pour trouver ce qui n'est pas correct, parce que je trouve que tout le jugement est erroné et devrait être porté à l'attention de la Cour d'appel », a affirmé l'avocat en entrevue avec La Presse.

« Je n'ai aucun commentaire », a déclaré Mike Ward, joint au téléphone mercredi soir avant le spectacle The Nasty Show.

Pour sa part, Jérémy Gabriel n'avait aucun commentaire à faire mercredi soir, a déclaré son agent Jean Perruno. Le jeune homme s'adressera toutefois aux médias aujourd'hui en conférence de presse.

Les parents du jeune chanteur, Sylvie Gabriel et Steeve Lavoie, avaient déposé une plainte contre Mike Ward en 2012 auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. C'est cette dernière qui a poursuivi l'humoriste au nom de la famille Gabriel devant le Tribunal des droits de la personne, un tribunal spécialisé notamment dans les litiges en matière de discriminatoire.

La Commission demandait au Tribunal de condamner Mike Ward à verser 50 000$ à Jérémy Gabriel, 15 000$ à Sylvie Gabriel et 15 000$ à son conjoint. Finalement, Mme Gabriel obtient 5000$ en dommages moraux et 2000$ en dommages punitifs. Jérémy Gabriel touche pour sa part 25 000$ en dommages moraux et 10 000$ en dommages punitifs.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES La Presse

Jérémy Gabriel