Un avocat montréalais a été jugé coupable de faute déontologique après avoir réclamé « de façon intempestive » des explications sur un jugement rendu en anglais dans une cause s'étant déroulée entièrement en français.

Le conseil de discipline du Barreau reproche à Me Frédéric Allali d'avoir « manqué de respect » dans sa lettre envoyée à la juge Karen Kear-Jodoin. Il connaîtra sa sanction dans les prochains mois.

Mi-janvier 2015, l'avocat est « choqué » de recevoir un jugement de la Cour supérieure entièrement en anglais. Tous les avocats dans ce dossier sont francophones, « l'audition a eu lieu entièrement en français » et « plus important encore notre client, Jacques Caya, est unilingue francophone », écrit-il rapidement à la juge. Il demande une traduction du jugement.

Dans la même lettre, Me Allali se plaint en plus du délai de « plus de 9 mois » entre l'audience et la publication du jugement.

L'avocat envoie aussi sa lettre au juge en chef de la Cour supérieure, François Rolland. Interloqué, ce dernier transfère le document au Barreau du Québec, attirant l'attention de l'ordre professionnel sur le « ton » employé.

Trois mois plus tard, Frédéric Allali était convoqué par son conseil de discipline, ce qui a déclenché une vive controverse sur la place du français dans l'appareil judiciaire québécois.

« REPROCHES ET INSINUATIONS »

Dans sa décision rendue fin mai, le conseil de discipline du Barreau du Québec estime que « les propos de [Me Allali] sont empreints de reproches et d'insinuations qui jettent un discrédit sur la juge Kear-Jodoin ».

Me Allali plaidait au contraire qu'il n'avait fait qu'utiliser sa liberté d'expression en des mots « polis et respecteux ».

Il a perdu sa cause. « Le Conseil est d'avis que [Me Allali] a manqué de respect envers la juge Kear-Jodoin en l'interpellant comme il l'a fait. Il n'a pas agi avec dignité, modération et courtoisie, continue le jugement. Un avocat doit se garder de critiquer un juge personnellement ou le blâmer pour un trait quelconque de son caractère ou de son comportement. »

De toute façon, peu importe le ton utilisé, le délibéré d'un juge est sacré, indique la décision.

« L'avocat qui demande des justifications au juge sur la durée de son délibéré ainsi que sur le choix de la langue dans laquelle le jugement est écrit commet une brèche importante à cette étape confidentielle du processus décisionnel », écrit le Conseil.

Élément supplémentaire, le conseil de discipline souligne que la juge Kear-Jodoin avait averti les parties impliquées qu'elle rendrait le jugement en anglais. Une collègue de Me Allali avait assisté à la dernière journée d'audience - à la différence de l'avocat - et avait acquiescé. Ce qui amène le Conseil à conclure que l'avocat a agi de façon « intempestive ».

Joint au téléphone, Frédéric Allali n'a pas voulu commenter la décision. « Je préfère, tant qu'il n'y a pas de sanction [prononcée] ne pas faire de commentaire », a-t-il dit.