Pour désengorger les tribunaux criminels plombés par les délais, le gouvernement québécois planifie étendre son programme de « mesures de rechange » déjà disponible pour les adolescents et les autochtones aux accusés adultes, a appris La Presse.

«Nous ne sommes vraiment pas fermés à l'idée si ça permet de donner de l'oxygène à notre système. Je pense qu'on a le devoir d'en évaluer sa mise en oeuvre [...] Toutes les infractions ne s'y prêtent pas toutefois», a dit la ministre de la Justice Stéphanie Vallée, en entrevue à La Presse, hier, sans confirmer l'implantation imminente d'un tel programme.

Les «mesures de rechange» permettent de traiter des causes dans un système parallèle au système criminel. L'auteur du délit doit être prêt à reconnaître les torts causés à la victime et proposer des mesures de réparation. Selon nos informations, l'annonce du programme étendu à tous les adultes devait être faite l'automne dernier, mais a été repoussée à 2016.

Chez les autochtones, des «comités de justice» formés de membres de la communauté ont ainsi été mis sur pied. «Dans certaines communautés nordiques, la mesure de réparation peut être d'aller à la chasse et de ramener du gibier à la famille de la victime, explique la ministre Vallée. Maintenant, il s'agirait d'adapter tout ça à notre réalité urbaine.»

Dans le programme pour les adolescents, des infractions poursuivies par voie sommaire, dont les agressions sexuelles, peuvent ainsi être déjudiciarisées. À Montréal, en Chambre de la jeunesse, cela a permis de réduire le nombre de dossiers criminels de 20 à 25 %.

La ministre «préoccupée»

Les délais ont atteint des sommets au point où des juges, dont l'actuel juge en chef de la Cour supérieure et la juge responsable de la Chambre criminelle à la Cour du Québec, sont sortis de leur réserve habituelle. La grande patronne des procureurs de la Couronne ainsi que des représentants d'association d'avocats de défense ont aussi dénoncé le problème.

La ministre affirme qu'elle n'a pas été surprise de leur sortie dans La Presse de samedi puisque les juges lui ont fait part des mêmes préoccupations en privé ces derniers mois. «La question des délais m'interpelle beaucoup», assure-t-elle.

À la Cour supérieure, on fixe actuellement des procès dans trois ans, en 2019. Les magistrats dénoncent le manque de ressources, notamment le manque de juges à la Cour supérieure, de salles assez grandes pour accueillir des «mégaprocès» et de greffiers. Même après avoir ajouté 20 juges à la Cour du Québec en 2012, les délais ont continué de s'allonger, répond la ministre Vallée.

Dans notre dossier publié la fin de semaine dernière, des proches de victimes de crime nous ont confié se sentir abandonnés par le système. Après des années à espérer obtenir justice, le découragement, la fatigue voire la dépression les envahissent. Les nombreux reports de la cause demandés par les accusés viennent à bout de leur patience.

La ministre n'écarte pas l'idée de limiter le nombre possible de reports d'une cause. Un projet-pilote avait été réalisé en ce sens à la cour municipale de Montréal il y a quelques années. «Une réflexion sérieuse est en cours», insiste la ministre Vallée.

La grande majorité des 100 000 dossiers ouverts chaque année à la Cour du Québec se règlent en deux ans, rappelle-t-elle. Environ 8 % des dossiers durent depuis plus de trois ans. «Ce n'est que 8 %, mais ce n'est pas une raison pour fermer les yeux, reconnaît la ministre. Ça représente beaucoup de victimes, plusieurs enquêtes de police.»