La justice est devenue un outil de luxe. Il faut repenser la façon de pratiquer le droit et de décider.

Ce constat, c'est le juge en chef de la Cour supérieure François Rolland qui le fait. À quelques semaines de son départ à la retraite, La Presse l'a rencontré pour faire un bilan de ses 11 années passées à la tête de la Cour supérieure et cerner les enjeux auxquels devra faire face son successeur.

François Rolland était avocat spécialisé en litige commercial et associé au sein du cabinet Martineau Walker, avant d'être nommé juge à la Cour supérieure en 1996. Il en est devenu le juge en chef en 2004. En presque 20 ans à la magistrature, les choses ont bien changé, reconnaît-il. Les dossiers sont devenus plus longs et plus complexes.

«Les a-t-on complexifiés volontairement ou involontairement? Je n'ai pas la réponse définitive», dit-il.

Il n'est plus inusité de voir des procès durer un an, et même plus. Le recours collectif contre l'industrie du tabac a duré presque trois ans. Celui de Cinar (Ronald Weinberg et coaccusés) a soufflé sa première bougie il y a quelques semaines. Celui de l'opération Diligence s'est mis en route il y a quelques mois après l'audition de centaines de requêtes, celui de SharQc devrait plonger, une fois le jury sélectionné... Les exemples ne manquent pas.

Les observateurs le constatent: de nos jours, même un litige pas trop compliqué peut se transformer en ogre judiciaire, avec un peu de volonté.

Il y a lieu de se poser des questions.

«Est-ce nécessaire de faire de longs interrogatoires? Est-ce que cette recherche de la vérité nous aide à avoir une solution plus juste qu'en se fiant sur les documents contractuels et les actions de base? », soupèse le juge.

Évidemment, il y a toujours la question de responsabilité professionnelle, qui incite les avocats à retourner chaque pierre, remarque le juge.

«Nous, on est un peu les héritiers de la common law, mais à l'américaine. On a des procès très longs. Alors qu'en France, un très, très long procès dure une semaine ou deux.»

Ressources

Les procès longs monopolisent les ressources et coûtent cher aux justiciables. «Les gens ont de plus en plus de difficulté à se payer les services d'avocats et de la Cour», signale le juge Rolland.

Avec le résultat que les délais s'étirent et que de plus en plus de gens se hasardent à se représenter seuls. Et la roue tourne, car cela contribue souvent à engorger le système encore plus.

Il y a une dizaine d'années, 12% des gens se représentaient eux-mêmes en matière civile. C'est maintenant 31%, fait remarquer le juge. En matière familiale, le chiffre bondit à 42 ou 43%. La majorité est en défense.

Des outils

Pour contrer cette tendance lourde, il faut agir. À ce sujet, le juge en chef parle avec grand enthousiasme des conférences de règlement ou de facilitation, instaurées au début des années 2000. Elles permettent aux parties de se rencontrer et de s'expliquer, en présence d'un juge. «On en fait plus de 1500 par année, et le taux de règlement de ceux qui viennent est de 80%. Oui, on a un peu de mérite, mais ce sont les parties, avec leurs avocats, qui viennent s'asseoir et sont prêtes à participer au processus. Elles se vident le coeur. Le juge est là comme facilitateur, pas comme décideur.»

Cette méthode a permis de régler de petits et grands dossiers, comme le recours collectif de l'affaire Norbourg dans lequel le juge Rolland officiait. «Il y avait plus de 100 millions de dollars en jeu là-dedans. Les avocats étaient pessimistes, pensaient que ça ne marcherait pas. Mais je disais: "Vous allez voir." Il y a une dynamique qui se crée. Ça s'est échelonné sur trois mois et demi. On a fini Norbourg en décembre 2010.»

Les conférences de facilitation sont un succès, mais il y a place à amélioration. Il faudrait que les gens y aillent plus tôt dans le processus, «pas attendre à trois mois du procès», signale le juge. Des balises ont d'ailleurs été établies pour forcer les gens à se limiter dans le temps.

Le juge est particulièrement fier aussi du développement de la Chambre commerciale. «Je dois dire modestement que c'est une des plus performantes au pays.»

Manque de juges

Montréal accapare 76% du volume d'affaires judiciaires, et il faut beaucoup de juges pour entendre toutes ces causes.

«En 2011, j'avais demandé 12 juges de plus pour Montréal seulement. On nous en a accordé sept. Sur les sept, on en a eu quatre.»

Pour pallier au plus urgent, des juges en matière civile sont prêtés au criminel, mais c'est le civil qui s'en ressent, illustre le juge Rolland.

Actuellement, 15 juges siègent en permanence à la Cour criminelle, alors qu'en 2004, il y  en avait neuf.

Cela n'a pas empêché les délais de se détériorer considérablement en Chambre criminelle. Ce qui n'arrange rien, la Cour d'appel a ordonné de reprendre de nombreux procès au cours de la dernière année.

«Il y a cinq ans, j'étais fier de dire qu'on avait les meilleurs délais au Canada. Là, c'est gênant, mais on fixe les procès en 2017 si ce n'est pas trop pressant, que l'accusé est en liberté.»