Un jury est représentatif si la procédure utilisée pour le composer est équitable. Et la procédure ontarienne pour composer des jurys l'est, de l'avis de la majorité des juges de la Cour suprême du Canada, même si elle conduit à des jurys sans jurés autochtones dans des régions où les membres de Premières Nations sont nombreux.

Le jugement du tribunal est divisé; deux des sept juges, dont la juge en chef, sont dissidents.

La cause qui a mené la plus haute cour du pays à faire cette réflexion est celle de Clifford Kokopenace, un autochtone du nord de l'Ontario.

En 2008, l'homme a été reconnu coupable de meurtre non prémédité dans un procès devant juge et jury. Aucun des jurés n'était autochtone, même si le procès a eu lieu dans le district de Kenora où environ le tiers de la population totale est composé d'autochtones vivant sur une réserve.

La Cour d'appel de l'Ontario avait jugé l'anomalie assez sérieuse pour suspendre son jugement qui, en 2011, confirmait la culpabilité de l'homme. Cette suspension a conduit à une paralysie des procès avec jurés dans le nord de l'Ontario.

Le gouvernement ontarien a alors demandé une enquête sur le recrutement des jurés. En février 2013, le juge à la retraite Frank Iacobucci a complété cette enquête, concluant que le système de recrutement des jurés autochtones est bel et bien déficient.

La Cour d'appel ontarienne a alors ordonné la tenue d'un nouveau procès pour M. Kokopenace.

Le jugement rendu par la Cour suprême jeudi matin infirme cette décision de la Cour d'appel et rétablit le verdict de culpabilité de M. Kokopenace.

«À mon avis, la représentativité met l'accent sur la procédure utilisée pour dresser la liste des jurés, et non sur sa composition finale», écrit le juge Michael Moldaver au nom de la majorité.

«L'État respecte le droit de l'accusé à un jury représentatif en donnant à un large échantillon de la société une possibilité honnête de participer au processus de sélection des jurés», poursuit le magistrat qui estime que l'Ontario, dans ce cas, déploie des efforts raisonnables pour dresser des listes de jurés.

«C'est le fait de ratisser large qui garantit la représentativité. Elle ne consiste pas à cibler des groupes particuliers pour que leurs membres figurent sur la liste des jurés», de l'avis du juge Moldaver.

La dissidence de la juge en chef Beverley McLachlin est exposée par la plume de son collègue Thomas Cromwell. Les deux juges auraient maintenu le jugement de la Cour d'appel.

«Un Autochtone devant être jugé pour meurtre a été forcé de choisir un jury à partir d'une liste de laquelle était exclue une bonne partie de la collectivité sur le fondement de la race - la sienne», s'insurge le juge Cromwell.

«Cette situation déconsidère à mon avis l'administration de la justice et ébranle la confiance du public dans l'équité du processus pénal», conclut le juge dont la thèse n'a pas été retenue par la majorité.

Semblant répondre à la critique de son collègue Cromwell, le juge Moldaver précise qu'il n'affirme «aucunement que l'État ne devrait pas s'occuper de ce problème social urgent».

Mais à son avis, ce n'est pas en passant par le droit de l'accusé à la représentativité qu'on règle ce problème.

Ce jugement est dénoncé par la nation Nishnawbe Aski qui avait obtenu un statut d'intervenant dans cette cause. Le grand chef adjoint Alvin Fiddler a diffusé un communiqué, jeudi après-midi, s'en prenant au raisonnement du juge Moldaver.

«Nous sommes profondément déçus que la majorité de la cour semble avoir abaissé la norme pour l'inclusion de nos communautés par le gouvernement», écrit M. Fiddler.

«Il est clair que les tribunaux sont incapables de faire partie de la solution», dit-il encore.

C'était la toute première fois que la Cour suprême traitait directement du concept de jury représentatif.

En Ontario, depuis juin 2013, un comité est chargé de trouver des moyens pour améliorer la représentation des Premières Nations sur la liste des jurés en Ontario. Le comité veille, entre autres, à la mise en vigueur des recommandations du rapport Iacobucci.