La communauté francophone du Yukon s'est fait infliger un K.-O. technique par la Cour suprême du Canada dans ce qui aurait pu être le dernier round d'un combat linguistique qui dure depuis des années.

Dans un jugement unanime, le plus haut tribunal au pays a décidé jeudi de renvoyer la cause portée par la commission scolaire francophone du Yukon (CSFY) devant un tribunal d'instance inférieure.

Les juges ont déterminé qu'il existait une «crainte raisonnable de partialité» de la part du juge qui avait donné raison à l'unique commission scolaire de langue française du Yukon, qui accueille environ 250 élèves.

«Notre première réaction en est une de déception, parce que c'est une décision qui, essentiellement, pour une raison procédurale n'ayant rien à voir avec la cause, renvoie les parties à la case départ», a laissé tomber le président de la CSFY, Ludovic Gouaillier.

La Cour suprême s'est cependant prononcée sur un volet fondamental de la cause portée à son attention par la commission scolaire, soit la question de la sélection des élèves pour des études en français.

Et à ce chapitre, elle donne raison au gouvernement territorial, qui souhaitait conserver ce pouvoir de gestion.

«Il ne fait aucun doute qu'une province ou un territoire puisse déléguer à une commission scolaire la fonction de fixer les critères d'admission à l'égard des enfants de non-ayants droit», écrit la juge Rosalie Abella au nom de ses collègues.

«À défaut d'une telle délégation, la commission (scolaire) n'a pas le pouvoir de fixer unilatéralement des critères d'admission différents de ceux établis dans le règlement territorial applicable à l'instruction en français», poursuit-elle.

La commission scolaire réclamait ce pouvoir en invoquant l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui encadre le droit des citoyens canadiens de communautés linguistiques minoritaires à une éducation dans leur langue.

Mais en vertu du jugement rendu jeudi par la Cour suprême, le gouvernement territorial pourra continuer à sélectionner les élèves ayant droit à une éducation dans la langue de Molière.

Tout n'est pas pour autant perdu, selon le président de la commission scolaire yukonaise. «Le jugement ouvre la porte à ce que j'appellerais des accommodements raisonnables. Nous, ce qu'on veut, c'est le pouvoir d'avoir une flexibilité pour l'admission», a-t-il exposé.

«À un moment donné, je pense que les gouvernements vont devoir réaliser qu'ils doivent quand même exercer leur juridiction en conformité avec l'article 23, alors je pense que cette question-là est loin d'être réglée», a ajouté M. Gouaillier.

Il espère que le tout pourra se régler grâce à des négociations, ce qui éviterait aux deux parties d'avoir à retourner devant les tribunaux.

Un jugement en faveur de la commission scolaire pourrait avoir des répercussions aux quatre coins du pays, notamment au Québec.

Le gouvernement québécois avait fait grincer des dents certains représentants des communautés francophones du reste du Canada lors des audiences pour cette cause en refusant de se ranger derrière eux.

En fait, Québec craignait qu'une interprétation trop large de l'article 23 puisse permettre à davantage de francophones d'obtenir le droit de fréquenter des écoles anglophones.

«Dans le contexte québécois où l'anglais exerce un fort pouvoir d'attraction sur les francophones et les allophones, un tel élargissement du pouvoir de gestion et de contrôle des représentants de la minorité anglophone aurait de graves conséquences sur la protection de la langue française et sur l'organisation du réseau scolaire», écrivait Québec dans son mémoire en octobre dernier.

Mais qu'importe, en attendant la suite des choses, les plaignants se réjouissent malgré tout d'avoir réalisé quelques gains depuis le début de cette saga.

«Pour nous, la plus grosse pièce, c'était la construction d'une nouvelle école, et le gouvernement s'est engagé publiquement à le faire, peu importe l'issue du jugement», a illustré M. Gouaillier.