Deux groupes de défense des droits des francophones portent plainte au Conseil de la magistrature contre le juge en chef de la Cour supérieure dans le dossier de Me Frédéric Allali, cet avocat qui a dû demander à ce qu'un jugement rendu en anglais soit traduit en français.

Impératif français et la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal ont rencontré la presse, vendredi à Montréal, pour faire état de leur plainte au Conseil de la magistrature. Ils y affirment que le juge en chef de la Cour supérieure, François Rolland, a manqué à son devoir de réserve en commentant publiquement un sujet qui faisait l'objet d'un litige.

Le litige prend sa source dans une cause qui a été entendue en avril 2014 devant la juge Karen Kear-Jodoin. Le client de Me Allali est francophone. L'audition de la cause a eu lieu en français, mais la juge a rédigé son jugement en anglais - ce que les parties sur le coup avaient accepté. Me Allali a ensuite dû demander qu'il soit traduit en français pour son client unilingue francophone.

Une autre partie du litige vient du fait que Me Allali a adressé une lettre à la juge Kear-Jodoin, avec copie conforme au juge en chef de la Cour supérieure, se plaignant du fait que le jugement avait été entièrement rédigé en anglais, malgré le fait que toutes les parties dans la cause étaient francophones. «Nous comprenons mal ce qui a pu faire en sorte qu'un jugement entièrement en anglais puisse être rendu», avait-il écrit.

Mais il avait aussi écrit: «bien que nous ne comprenions pas tout à fait le processus qui a mené à un jugement quelques jours après une lettre de notre confrère au juge en chef et présumément, l'intervention de celui-ci auprès de vous (alors que le jugement était en délibéré pendant 262 jours), nous nous devons de présumer que c'est l'intervention du juge en chef de la Cour supérieure qui a fait en sorte que nous ayons reçu un jugement trois jours après cette intervention».

Le juge en chef Rolland a à son tour fait parvenir une lettre au syndic du Barreau, se plaignant du «ton» et de la «teneur» de la lettre de Me Allali. «Je vous fais parvenir copie d'une lettre que j'ai reçue de l'avocat Frédéric Allali dont la teneur et le ton étonnent. Je n'ai aucun autre commentaire à formuler», écrit le juge en chef.

Fait exceptionnel, le juge en chef avait même écrit une lettre qui est parue dans des médias, notamment pour répliquer à un chroniqueur concernant cette question du français devant les tribunaux. «L'étonnement exprimé dans une lettre que j'ai fait parvenir au syndic du Barreau fait plutôt référence au ton de la demande que j'ai reçue de Me Allali ainsi qu'aux insinuations qu'elle contenait», écrit le juge en chef Rolland.

Les deux groupes de défense du français portent donc plainte à leur tour contre le juge en chef de la Cour supérieure, affirmant qu'il a manqué à son devoir de réserve en se prononçant sur un sujet controversé et en écrivant aux médias concernant cette cause.

«Imaginez si au Canada anglais, un juge ayant affaire à deux parties anglophones rendait un jugement exclusivement en français. Imaginez un peu le tollé qui serait engendré par une telle situation», s'est exclamé Maxime Laporte, président général de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.

Jean-Paul Perreaut, président d'Impératif français, affirme qu'il est dans «la normalité des choses» que les jugements des tribunaux au Québec soient rédigés en français et, si une demande est formulée en ce sens, qu'ils soient en anglais. Or, le client de Me Allali était francophone.

Me Laporte concède que les parties ont au départ accédé à la demande de la juge Kear-Jodoin de rédiger son jugement en anglais, mais il soutient que c'est parce que les parties n'osaient pas déplaire à la juge, de qui leur sort dépendait.

Les deux groupes demandent à la ministre responsable de l'application de la Charte de la langue française, Hélène David, «si elle trouve ça normal» qu'un jugement soit rendu en anglais au Québec alors que les parties sont francophones.

Me Allali était présent à la conférence de presse des groupes Impératif français et SSJB-M. Il n'a pas voulu commenter plus avant, si ce n'est pour dire à quel point il appréciait les appuis qu'il a reçus depuis que cette histoire a été rendue publique. «Je suis touché et très content de l'appui, du support que j'ai de la population. J'ai des courriels, des messages, un très grand appui dans cette histoire-là», a-t-il dit.

Pour ce qui est de la plainte, «je m'en remets au Conseil de la magistrature, qui lui aura une décision à prendre et c'est l'entité la plus compétente pour prendre une décision là-dessus».

La Presse Canadienne a sollicité des commentaires au bureau du juge en chef de la Cour supérieure, en vain.