Des causes de meurtre, le procureur de la Couronne Louis Bouthillier en a fait beaucoup en 27 ans de carrière. La dernière en date est celle de Luka Rocco Magnotta. Mais la pire, par son degré de complication, c'est celle qui lui vaut aujourd'hui d'être jugé par ses pairs. Celle impliquant des membres d'un gang de rue accusés du meurtre gratuit de Raymond Ellis.

«C'est la cause la plus compliquée de ma carrière, mais celle où j'avais le plus d'aide. Il a fallu improviser dans une situation inédite», a fait valoir Me Bouthillier, hier, alors qu'il se défendait devant le Conseil de discipline du Barreau.

Le syndic reproche à Me Bouthillier d'avoir induit le tribunal en erreur en demandant un ajournement sous un faux prétexte, en novembre 2008, dans ce procès qui impliquait cinq accusés.

Le procès se déroulait depuis un certain temps devant jury et était présidé par la juge Sophie Bourque. Au moment qui nous occupe, Wilkerno Dragon, l'un des principaux témoins de la Couronne, était à la barre. Il ne voulait plus témoigner et disait maintenant le contraire de ce qu'il avait dit précédemment. Il était devenu un témoin hostile.

À peu près au même moment, la Couronne a appris que Dragon aurait confié à un compagnon de détention qu'il était payé pour se dédire.

Opération d'infiltration

L'informateur est un criminel de carrière. Il faut corroborer ses dires, mais comment? Dragon est en plein témoignage. Il faut faire vite, car après, il sera trop tard. La poursuite et les enquêteurs cogitent et conviennent d'envoyer deux agents doubles en prison, pour tenter de recueillir les propos de Dragon.

Pour permettre cette opération d'infiltration, Me Bouthillier demande à la juge une journée de suspension, soit le jeudi. Cela donnera quatre jours, puisqu'il n'y a pas d'audience le vendredi et la fin de semaine. Il dit qu'il veut se préparer pour être «efficace.»

«Ce n'était pas inexact, je me limitais à des généralités», a dit Me Bouthillier, hier. Il a expliqué qu'il ne pouvait dire devant les accusés qu'il y aurait opération d'infiltration.

Le procureur a raconté que la situation était délicate. Dragon était en prison, comme les accusés. Mais même s'il était gardé en protection, ils communiquaient entre eux. Cela se passait même à la Cour. Ils se parlaient discrètement par signes, convenaient du moment où ils s'appelleraient, avaient remarqué les agents des services correctionnels. Des téléphones cellulaires circulaient illégalement en prison.

C'était la première fois au Québec que des agents doubles seraient incarcérés pour recueillir de l'information. «On n'avait pas de balises», a précisé Me Bouthillier, qui dit avoir obtenu l'aval de ses supérieurs dans cette affaire. Des procureurs ferrés en droit pur avaient étudié les options.

«Mon rôle, c'est que la vérité éclate au grand jour. Que justice soit rendue. On était devant un individu qui était en train de détourner le cours de la justice», a-t-il dit hier.

L'opération a eu lieu et a donné quelques résultats. Le tout a ensuite été transmis à la défense, comme il se doit. Beaucoup de discussions ont eu lieu par la suite. Le ton a monté. La défense a demandé un arrêt définitif des procédures, que la juge a accordé, en janvier 2009.

Les cinq accusés sont sortis libres et triomphants. Mais la justice les rattraperait plus tard.

En ce qui concerne l'audition au Barreau, les parties, le syndic Patrick Richard et l'avocat Jean-Claude Hébert, qui représente Me Bouthillier, plaideront par écrit. Le Conseil rendra sa décision plus tard.