Le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) ne limitera pas ses enquêtes aux interventions policières qui causent la mort d'un citoyen ou des blessures graves, a appris La Presse. Son mandat lui permettra aussi de se pencher sur des allégations concernant des policiers ripoux, au gré des missions spéciales que la ministre de la Sécurité publique pourrait lui confier.

«La loi prévoit que le mandat du Bureau soit surtout d'enquêter lorsqu'un individu est tué ou blessé dans le cadre d'une intervention policière ou en détention dans un poste de police, a expliqué la directrice du BEI, Me Madeleine Giauque. Mais il est vrai qu'un autre article prévoit que la ministre [de la Sécurité publique] puisse demander à ce que le Bureau se saisisse d'une enquête impliquant un policier dans tout événement qui a un lien avec son emploi.»

«Ça peut être interprété largement», a ajouté Me Giauque en entrevue à La Presse, hier, dans ses nouveaux bureaux du Vieux-Montréal. La procureure de la Couronne d'expérience, qui a consacré la majorité de sa carrière à lutter contre le crime organisé, a été nommée à ce poste tout juste avant la nouvelle année.

Ce type de missions spéciales sera déclenché uniquement à la demande de la ministre, puisque les corps policiers ont déjà leur section des enquêtes internes, précise-t-elle.

«Si, dans une année, il y a 10 enquêtes indépendantes de déclenchées - moi, il est prévu que j'aie 18 enquêteurs -, ça ne leur prendra pas un an pour enquêter sur 10 événements. Est-ce qu'il serait intéressant que les enquêteurs aient d'autres mandats? Oui, peut-être», a ajouté la directrice du BEI.

Un mandat qui n'est pas sans rappeler celui que le sous-ministre de la Sécurité publique (aujourd'hui grand patron de la Sûreté du Québec) avait confié à d'anciens policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et de la Gendarmerie royale du Canada en 2012 et qui a mené au dépôt d'accusations criminelles contre trois hauts dirigeants de la Sûreté du Québec (SQ), dont l'ancien directeur général Richard Deschesnes.

Recommandations gardées secrètes

Des voix s'élèvent dans des groupes de la société civile et de défense des droits depuis des années contre le manque de transparence des enquêtes de la police sur la police (politique ministérielle). Or, le BEI n'expliquera pas davantage au public les conclusions de ses enquêtes, révèle aussi Me Giauque.

Le secret continuera d'envelopper les raisons qui poussent le BEI à recommander que des accusations soient portées (ou non) contre un policier au terme de son enquête. «Ce n'est pas dans notre mandat. Dans la loi, nous sommes comme un corps de police avec les mêmes obligations de confidentialité. Ce sera au Directeur des poursuites criminelles et pénales [DPCP] d'expliquer ou non les raisons qui le poussent à accuser ou ne pas accuser un policier», indique-t-elle.

Me Giauque convient que les enquêtes de la police sur la police pouvaient donner l'impression que c'était quelque chose comme «je te gratte le dos, tu grattes le mien», puisque c'était pratiquement toujours la SQ qui enquêtait sur le SPVM, ou vice-versa.

La directrice est convaincue que son bureau gagnera la confiance du public en raison de sa composition et des règles claires qui vont encadrer son travail.

La moitié des enquêteurs seront des civils. L'autre moitié - d'anciens policiers - devront obligatoirement avoir coupé leur lien d'emploi avec leur corps de police pour éviter tout conflit d'intérêts. Alors que la sélection n'a pas encore débuté, Me Giauque affirme avoir déjà reçu une cinquantaine de candidatures diversifiées, dont celles de médecins, de psychologues et d'avocats.

Biais naturel?

Comme Me Giauque a travaillé en équipe avec des policiers durant toute sa carrière, certains pourraient l'accuser d'être trop près de la police. «J'ai toujours fait mon travail le mieux que je pouvais, le plus honnêtement possible. Les policiers qui me connaissent savent que je ne leur ai jamais permis de tourner les coins rond», répond-elle.