Le revirement de situation est ironique: dans le cadre d'une enquête sur de possibles malversations entourant un contrat public, l'Unité permanente anticorruption (UPAC) a mené une perquisition hier chez une firme qui tentait justement de lui vendre... un logiciel pour détecter les malversations dans les contrats publics.

Les enquêteurs ont fait irruption au siège social de la firme Informatique EBR, hier. Ils ont saisi des preuves dans le cadre d'une enquête sur un contrat informatique attribué par leur propre patron, le ministère de la Sécurité publique.

L'UPAC frappait au même moment au centre de distribution du Ministère, rue Volta, à Québec. Il s'agit d'un entrepôt où sont conservés les biens matériels en réserve, notamment les surplus de mobilier et les équipements informatiques destinés aux différents bureaux, selon le gouvernement.

Dans un communiqué, le ministère de la Sécurité publique a offert «sa pleine et entière collaboration aux enquêteurs» et précisé que l'enquête a été amorcée à la suite d'une dénonciation faite en 2013. Personne n'a voulu préciser les contrats concernés par l'enquête.

Informatique EBR est un fournisseur important du gouvernement, qui a obtenu plusieurs contrats de ministères dans le cadre d'appels d'offres au cours des dernières années. Il compte parmi ses clients le ministère de la Sécurité publique, mais aussi le ministère de la Justice, celui de l'Éducation, ainsi que le Secrétariat du Conseil du trésor et plusieurs autres organisations publiques et privées.

Lobbying auprès de l'UPAC

Ironiquement, en décembre dernier, plusieurs dirigeants d'Informatique EBR s'étaient inscrits au Registre des lobbyistes. Le seul organisme public auprès duquel ils souhaitaient faire des représentations était l'UPAC.

Selon leur fiche d'enregistrement, les représentants de la firme voulaient «présenter des solutions logicielles de détection de fraude et d'analyse de données pour les ministères et organismes dans l'éventualité d'un appel d'offres public ou d'un contrat de gré à gré ou selon une disposition de la loi». Ils prévoyaient faire du lobbying jusqu'en avril dernier.

La porte-parole de l'UPAC, Anne-Frédérick Laurence, a confirmé à La Presse qu'une rencontre a eu lieu au cours des derniers mois entre l'UPAC, Informatique EBR et des représentants du ministère de la Sécurité publique pour discuter des besoins de l'UPAC en matière de logiciels. Le Ministère participait à la rencontre, car c'est lui qui fait les achats pour l'UPAC.

Le logiciel proposé par Informatique EBR à cette occasion n'a toutefois pas été acheté, confirme Mme Laurence.

Dans un entretien avec La Presse, le cofondateur d'EBR, Denis Blais, a dit n'avoir aucune idée de ce qu'on pourrait reprocher à son entreprise.

«C'est une grosse surprise pour nous, on va enquêter nous aussi pour comprendre de quoi il s'agit. Je ne comprends pas, ça fait 30 ans que je suis là-dedans, j'ai été un des premiers au Québec en micro-informatique, et je fais affaire beaucoup avec le gouvernement... Ce n'est pas n'importe qui qui peut faire ça! J'ai entre 70 et 80 employés, je contribue à l'économie de la région, je n'aime pas voir mon nom dans tout ça!», dit-il.

Informatique EBR

Informatique EBR est très connue dans la capitale. Le fournisseur de solutions en technologie de l'information a des liens d'affaires avec des entreprises, des établissements d'enseignement ainsi que des ministères et des organismes gouvernementaux.

L'entreprise est aussi reconnue pour ses efforts d'intégration de la main-d'oeuvre immigrante. Son cofondateur Mohamed El Khayat est lui-même d'origine marocaine. Il est arrivé au Québec en 1987. En 2005, Informatique EBR faisait la manchette après avoir obtenu le contrat de construction du réseau intranet du Conseil du trésor. En novembre 2011, l'entreprise décrochait un important contrat afin de fournir et d'installer des tableaux blancs interactifs (TBI) au sein de l'appareil gouvernemental du Québec. En mars de la même année, le gouvernement Charest avait annoncé un investissement de 240 millions pour doter de TBI toutes les classes de la province sur un horizon de cinq ans.

L'entreprise Informatique EBR a été fondée à Québec en 1991. Entre 70 et 80 personnes y travaillent dans la capitale, mais aussi au Saguenay, à Laval et à Gatineau. Son chiffre d'affaires annuel atteint 55 millions. 

- Jean-François Néron, Le Soleil