L'homme d'affaires Peter Simons craint que le programme de non-judiciarisation banalise le vol à l'étalage. «Ce qui m'inquiète le plus, c'est la banalisation du vol à l'étalage, dit-il en entrevue avec La Presse. [...] Si vous êtes innocent, allez devant le juge. Si vous pensez que vous êtes innocent, protégez votre réputation. Quand ça [le programme de non-judiciarisation] devient une façon d'éviter carrément la justice, ça va nous causer des problèmes. On le voit maintenant, on voit une confusion.»

Peter Simons ne veut pas commenter le dossier de la bâtonnière Lu Chan Khuong, suspendue de ses fonctions par le conseil d'administration du Barreau du Québec en raison d'un dossier non judiciarisé de vol à l'étalage dans un magasin Simons à Laval en avril 2014. Mais le président de La Maison Simons s'inquiète de façon générale de la banalisation du vol à l'étalage, notamment par le truchement du programme de non-judiciarisation des infractions criminelles. «Il ne faut pas minimiser le problème [du vol à l'étalage], dit-il. Ce sont des millions de dollars de coûts par année pour les entreprises. Je trouve ça [les vols à l'étalage] insultant envers tout le monde avec qui je travaille. Ce n'est pas banal, c'est du vol.»

Selon les données du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) transmises à La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, les vols de moins de 5000$ (la catégorie d'infractions criminelles incluant le vol à l'étalage) ont constitué 40% des dossiers non judiciarisés au Québec en 2014-2015 (2375 dossiers de vol à l'étalage sur un total de 5985 dossiers entre le 1er avril 2014 et le 31 mars 2015). La possession simple d'une petite quantité de cannabis vient ensuite avec 37% des dossiers non judiciarisés, suivie des voies de fait (6%), des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles (5%) et des méfaits à l'égard de biens privés (3%).

«Ça me dérange si ça banalise [le vol à l'étalage], dit Peter Simons. Comme citoyen du Québec, ce processus-là [de non-judiciarisation] m'inquiète un petit peu parce que quand un dossier n'a pas l'opportunité de se trouver devant le juge, c'est vraiment une grande décision. Il faut vraiment que les citoyens du Québec pensent et voient que la justice soit bien faite, avec indépendance. La justice est un pilier de notre démocratie. Il ne faut pas mettre ça en danger pour une simple efficacité [du système].»

«Éviter un tapage médiatique»

Le 1er juillet dernier, La Presse révélait que la bâtonnière du Québec, Me Lu Chan Khuong, élue en mai dernier pour un mandat de deux ans, a fait l'objet d'une plainte à la police pour vol à l'étalage de deux paires de jeans en avril 2014 dans un magasin Simons de Laval. Le DPCP a choisi de traiter ce dossier en vertu du programme de non-judiciarisation des infractions criminelles. Pour qu'un dossier soit traité par l'entremise de ce programme, le DPCP doit à la fois être «moralement convaincu» qu'une infraction a été commise et être capable de prouver l'infraction hors de tout doute raisonnable.

À la suite de la décision du DPCP, Me Khuong aurait pu demander un procès criminel, mais elle a accepté la non-judiciarisation de son dossier pour «éviter le tapage médiatique et éviter de perdre [son] temps à la cour», a-t-elle expliqué à La Presse. Les dossiers non judiciarisés sont inscrits pour cinq ans dans un registre confidentiel, au contraire du dépôt d'accusations, qui sont publiques dans le cadre d'un procès criminel.

Me Khuong nie avoir commis un vol et plaide l'erreur d'inattention. Elle explique avoir payé une deuxième fois deux paires de jeans (environ 10$ la paire) achetés précédemment dans un magasin Simons de Québec puis être sortie sans payer deux nouvelles paires (environ 230$ la paire) prises dans le magasin de Laval. Elle explique ne pas regarder les prix quand elle magasine. Me Khuong demande aux tribunaux d'ordonner sa réintégration comme bâtonnière du Québec.

Peter Simons n'a pas voulu commenter le dossier Khuong, mais a tenu à rappeler le professionnalisme et l'intégrité de son service de sécurité. «Nous avons une équipe très rigoureuse et une procédure standard qui s'applique à tout le monde, dit-il. Une fois qu'on identifie ce qu'on croit être une infraction, on réfère le dossier aux autorités. C'est notre obligation de citoyens.»

- Avec la collaboration de Philippe Teisceira-Lessard et Daphné Cameron