Après la fuite, la contre-attaque. Du fond de sa prison panaméenne, l'ex-patron du CUSM Arthur Porter publie un livre qui prétend dévoiler les dessous de ses liens avec les premiers ministres québécois et canadien, mais qui révèle aussi ce qu'il pense du Québec, seul endroit dans le monde où on ne l'a pas laissé mener ses affaires à sa guise.

«J'ai quitté la ville qui m'a supplié de rester tout en me démonisant», écrit Arthur Porter au sujet de Montréal, dans livre à paraître lundi prochain.

L'ouvrage autobiographique The Man Behind the Bow Tie (L'homme derrière le noeud papillon) est tant un récit de vie qu'un règlement de comptes. Il est publié alors que l'ancien patron du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) croupit toujours dans une prison du Panama, où il tente d'éviter l'extradition vers le Québec et le procès pour corruption qui l'y attend.

Avec l'aide de l'écrivain canadien T.R. Todd, Porter fait la liste de ses succès, de la Sierra Leone à l'Angleterre, en passant par la Libye, les États-Unis, les Bahamas et Antigua.

Partout où il passait, Arthur Porter se rapprochait des dirigeants politiques et brassait de très grosses affaires tout en s'enrichissant. Au Québec, il s'est rapproché de Philippe Couillard, alors ministre de la Santé, et des conservateurs de Stephen Harper, mais son aventure a finalement très mal tourné. Or, réplique-t-il, il savait dès le départ qu'il ne serait pas le bienvenu ici.

«Racisme linguistique»

«C'était déjà assez grave que je ne parle pas français et que je n'aie jamais vécu au Québec. Je n'étais pas des leurs. Mais combien de PDG au pays détenaient un passeport diplomatique d'un pays africain? Combien avaient des projets de mine et d'infrastructures en Sierra Leone et en Libye? Combien avaient dirigé un réseau majeur d'hôpitaux à Detroit et étaient devenus ami de George W. Bush?» écrit-il dans son livre.

Il dit avoir refusé d'emmener ses filles vivre au Québec parce qu'elles auraient été obligées de fréquenter l'école en français, une forme de «racisme linguistique», selon lui. 

La question le préoccupe énormément, au point qu'il avance que le FLQ des années 60-70 aurait pu constituer une menace lors de la première pelletée de terre du CUSM.

Des conseils à Couillard

Le médecin revient aussi longuement sur son ami Philippe Couillard, avec qui il avait formé une entreprise de consultants médicaux qui n'a jamais pris son envol. Il parle de longues soirées arrosées après des parties de pêche, notamment à l'île d'Anticosti. Il affirme qu'à une certaine époque, le ministre l'appelait chaque jour pour demander des conseils sur la façon de gérer le système de santé.

«Il cherchait l'approbation, ai-je réalisé. Couillard voulait se faire dire qu'il faisait un bon travail», écrit Porter.

Il affirme aussi que Stephen Harper, qui l'avait fait membre du Conseil privé, lui avait confié une mission secrète pour appuyer la candidature du Canada pour un siège au Conseil de sécurité de l'ONU, en 2009.

«Comme j'étais un conservateur avec un accès à des chefs d'État en Afrique et dans les Caraïbes, Harper m'a chargé de parler au plus de leaders possible. Il voulait découvrir ce que ça prenait pour gagner ce siège», dit-il.

Il affirme par ailleurs avoir été approché par des conservateurs pour se présenter aux élections et devenir ministre de la Santé du Canada éventuellement.

Harper et Couillard nient

«Le premier ministre [Harper] n'entretient aucune relation personnelle avec M. Porter et n'a jamais eu de conversation privée avec M. Porter. Les affirmations sont tout simplement fausses», a répliqué son porte-parole Carl Vallée, hier.

«M. Couillard n'est jamais allé de sa vie à l'île d'Anticosti. Il a été à la pêche au Nouveau-Brunswick dans une activité officielle où M. Porter était lui aussi invité. Pour ce qui des conseils demandés, il y a une exagération. M. Porter était un directeur d'un grand hôpital, et ils avaient des conversations comme avec les autres directeurs dans le réseau», a indiqué Harold Fortin, porte-parole du premier ministre Couillard.

Quant aux accusations auxquelles il fait face, soit avoir reçu des millions de dollars de SNC-Lavalin en pots-de-vin en échange du trucage de l'appel d'offres du CUSM, Arthur Porter reprend dans son livre la défense qu'il avait fait valoir à La Presse l'an dernier: il dit qu'il avait accepté d'être consultant pour la firme pour lui dénicher des occasions d'affaires en Afrique ou dans les Caraïbes. C'est pour ça qu'il recevait des millions, dit-il, pas pour son rôle dans le choix d'un consortium. Il n'explique pas pourquoi son bras droit au CUSM recevait aussi des millions de la firme de génie.

Arthur Porter sur:

Philippe Couillard: «Couillard et moi étions similaires sur certains aspects. Il était un neurochirurgien très accompli et nous avions chacun monté comme une météorite dans la profession médicale.»

Pierre Duhaime, ex-PDG de SNC-Lavalin: «J'aimais beaucoup Pierre Duhaime. Il était un dirigeant drôle, coloré et dynamique. Lui et moi nous entendions très bien. J'avais une ambition et une énergie similaire.»

David W. Angus, ex-sénateur conservateur, ex-président du conseil du CUSM: «Angus savait tout ce que je faisais [...]. Angus était le genre de gars qu'on trouverait dans un club privé pour hommes, un cigare dans une main et un verre dans l'autre, avec d'autres gens de son type qui se demandent les uns et les autres s'ils ont déjà rencontré une personne pauvre.»

Photo tirée du livre d'Arthur Porter «The Man Behind the Bow Tie»