Le partage des lucratifs contrats des compteurs d'eau et du Faubourg Contrecoeur entre certains acteurs de l'industrie de la construction est au coeur de l'enquête de l'escouade Marteau de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) qui a mené hier à sept perquisitions dans la région de Montréal, a appris La Presse.

Les enquêteurs travaillent depuis près de cinq ans sur les deux dossiers. L'hypothèse sur laquelle se sont également penchés des journalistes, c'est le stratagème mis en place pour éliminer la concurrence et permettre que chaque partenaire se réserve un morceau du gâteau. Pour les uns, les compteurs d'eau; pour les autres, le Faubourg Contrecoeur.

Le dossier d'enquête du Faubourg Contrecoeur, qui a laissé des traces documentaires importantes, a permis de porter des accusations en 2012 contre neuf personnes, dont l'ancien président du comité exécutif de Montréal Frank Zampino, l'entrepreneur Paolo Catania et l'ancien directeur du financement du parti Union Montréal Bernard Trépanier, alias Monsieur 3%. L'UPAC a mené hier une perquisition à la résidence de ces trois personnes.

Chez M. Zampino, dans l'arrondissement de Saint-Léonard, les policiers ont pris soin de fermer les stores et les rideaux. Du papier a même été collé dans certaines fenêtres pour assurer l'intimité du travail des policiers.

L'UPAC a confirmé que 90 policiers ont été déployés sur le territoire pour mener les perquisitions. Les policiers de l'escouade Marteau de l'UPAC sont à la recherche d'information. Aucune arrestation n'était toutefois prévue, a précisé Anne-Frédérick Laurence, porte-parole de l'UPAC - qui, par ailleurs, ne confirme pas la teneur de l'enquête liée à l'opération policière.

La complexité des compteurs d'eau

L'enquête des compteurs d'eau a été plus complexe à faire progresser. Mais en janvier dernier, Marteau a demandé à la Ville de Montréal de relever de leur secret professionnel les avocats impliqués dans ce dossier, a révélé hier Radio-Canada. Vérification faite à l'hôtel de ville, la demande des enquêteurs concernait également le dossier Contrecoeur. Elle touchait tant les avocats de la Ville que ceux de cabinets externes.

Le cabinet d'avocats Dunton Rainville a été mis à contribution dans le dossier des compteurs d'eau. En fait, la Ville de Montréal avait choisi, de façon inhabituelle, de contourner son propre contentieux pour attester de la conformité légale du dossier. C'est la firme de génie BPR qui orchestrait le projet au nom de Montréal, qui avait attribué le contrat à Dunton Rainville. L'avocat au dossier est actuellement en congé, a constaté hier La Presse.

Dunton Rainville a longtemps partagé une loge au Centre Bell avec Dessau. Cette firme de génie avait formé un consortium appelé Génieau avec Simard-Beaudry, alors sous le contrôle de Tony Accurso, pour décrocher le contrat des compteurs d'eau.

Dès 2007, le dossier a soulevé des critiques. Une plainte avait même été déposée au ministère des Affaires municipales, alors sous la responsabilité politique de Nathalie Normandeau. Cette dernière avait rejeté la plainte, puisqu'elle ne voyait aucun problème dans le contrat.

Au moment où l'appel d'offres était en cours, Frank Zampino avait séjourné à deux reprises sur le yacht de M. Accurso. Cette information a été révélée en 2009 et a complètement miné la campagne électorale du maire de l'époque, Gérald Tremblay.

Hier, l'UPAC a procédé à la perquisition de la résidence de Tony Accurso et de celle de son bras droit, Frank Minicucci. La maison de l'ancien directeur général de Montréal Robert Abdallah a également été fouillée par les policiers. M. Abdallah est un ami de longue date de M. Accurso.

Le contrat des compteurs a fait l'objet d'un rapport spécial du vérificateur général de Montréal, qui a jugé que le dossier était entaché d'«irrégularités». Après la réélection de Gérald Tremblay, le contrat a été annulé.

Acteurs controversés

Frank Zampino n'en est pas à ses premiers contacts avec l'escouade Marteau. En mai 2012, il a été arrêté et accusé de fraude dans le scandale Contrecoeur. Il a aussi témoigné à la commission Charbonneau, où la mémoire lui a fait défaut. M. Zampino a quitté la politique en 2008 pour se joindre quelques mois à la firme Dessau.

Tony Accurso est devenu une figure publique au coeur de nombreux scandales au cours des dernières années. Il fait face à différents chefs d'accusation dans les dossiers de Mascouche et Laval. C'est sans compter la fraude fiscale présumée pour laquelle Revenu Québec a fait enquête (projet Touch, du nom du luxueux bateau de M. Accurso).

Robert Abdallah a été plusieurs fois montré du doigt à la commission Charbonneau pour ses liens étroits avec l'entrepreneur Tony Accurso. M. Abdallah a été directeur général de Montréal de 2003 à 2006. Par la suite, il a travaillé pour la société Gastier, alors propriété de M. Accurso.