Dans ses vidéos de rap, il s'entourait de jolies filles et exhibait d'énormes bijoux en or. Le loyer de son penthouse, au centre-ville de Montréal, s'élevait à 4400$ par mois. Il ne se donnait pas la peine de faire nettoyer ses habits griffés; quand il avait besoin d'un costard propre, il en achetait tout simplement un neuf.

Pas de doute, Jahmane Bolton, alias Frost, menait un train de vie princier. Pourtant, le rappeur montréalais ne travaillait pas. Pendant ces années fastes, il n'a pas déclaré le moindre revenu. Son argent, il le faisait sur le dos de Zoé*, qu'il a littéralement traitée en esclave sexuelle pendant trois ans et demi.

Son emprise sur la jeune femme était totale. Zoé dansait dans des bars de la région de Montréal six ou sept jours par semaine, de 15h à 3h du matin. Elle ne prenait jamais de vacances. À coups de danses à 10$, elle rapportait à M. Bolton de 1800$ à 2800$ par semaine. Autour de 100 000$ par an. Sans impôts.

Zoé lui donnait tout. Elle devait obtenir son approbation pour le moindre achat. Des «erreurs» bêtes, comme oublier d'enlever les oignons de son plat, lui valaient une violente claque derrière la tête. «J'étais constamment en train de m'assurer que je faisais bien tout ce qu'il voulait et que je n'oubliais rien», a-t-elle raconté avec beaucoup d'émotion, hier, au palais de justice de Montréal, où M. Bolton a plaidé coupable à plusieurs chefs d'accusation, dont proxénétisme, voies de fait et séquestration.

«S'il n'aimait pas ce que je portais, je devais me changer. Je devais porter des talons chaque fois que j'étais en sa présence, ou encore me dévêtir dès que j'entrais dans la maison.»

M. Bolton a fait tatouer son nom sur la peau de la jeune femme. Comme on marque le bétail. Et comme on marquait, jadis, les esclaves. Lorsque Zoé a voulu quitter M. Bolton, ce dernier lui a exigé une «compensation de départ» de 50 000$, sous peine de représailles. Alors, elle est restée. Elle était terrifiée.

M. Bolton avait souvent été violent envers elle. Une nuit, il l'avait frappée à coups de poing pendant cinq minutes dans un taxi - si fort que le chauffeur avait eu l'impression que sa voiture était munie d'un ressort. Une autre fois, il lui avait fracassé une table sur les jambes. Elle avait quand même dû danser ce soir-là, avec des leggings pour camoufler ses ecchymoses.

Séquestrée au 1000, rue de la Commune

En 2012, M. Bolton a quitté son penthouse de deux étages, rue de Bleury, pour emménager au 1000, rue de la Commune. L'appartement était moins luxueux - le loyer n'était «que» de 2700$ -, mais avait l'avantage de se trouver à l'intérieur de ce que plusieurs considèrent comme une véritable forteresse pour les criminels, très difficile d'accès pour les enquêteurs.

Au moins une vingtaine de membres et de relations du crime organisé ont vécu dans cet immeuble: des mafieux du clan Rizzuto, des Hells Angels et des gangs de rue.

Un soir, après que Zoé eut tenté de s'enfuir, M. Bolton l'a séquestrée pendant deux jours à l'intérieur de l'appartement du 1000, rue de la Commune. Il l'a battue pendant des heures, puis l'a réveillée pour la battre encore. «Je ne croyais pas sortir vivante de l'appartement», a-t-elle confié. Le second matin, elle a joué le tout pour le tout: elle s'est précipitée vers la sortie. Alertée par ses cris, une voisine l'a trouvée par terre dans le corridor, agrippée à la porte. Complètement nue. M. Bolton tentait de la pousser à l'intérieur.

Zoé s'est réfugiée chez la voisine et a porté plainte. Elle a été prise en charge par les enquêteurs de la section Ouest du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qui ont développé une solide expertise en matière d'exploitation sexuelle.

La Couronne demande une peine de cinq ans de prison contre M. Bolton. Ce dernier a déjà purgé 17 mois à Bordeaux et plaide l'insalubrité de la prison pour obtenir une réduction de peine. La décision du juge Jean-Pierre Boyer, de la Cour du Québec, sera rendue dans les prochaines semaines.

Il y a deux mois, Zoé s'est déniché un boulot de caissière. Sans diplôme, elle doit recommencer sa vie à zéro. Sans le moindre sou en poche.

* Nom fictif