Une bombe saute. Les assaillants sont musulmans. L'image de la communauté musulmane est entachée. Mardi dernier, on a appris qu'une bombe n'avait pas sauté: un complot aurait été déjoué au Canada. Les terroristes présumés sont musulmans. Mais cette fois, la communauté a travaillé en amont en tirant la sonnette d'alarme avant que l'irréparable ne soit commis et que les regards accusateurs ne se retournent vers eux.

En annonçant l'arrestation de Chiheb Esseghaier et de Raed Jaser, la semaine dernière, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a chaudement remercié la communauté musulmane de Toronto pour sa collaboration dans cette affaire. La police fédérale avait d'ailleurs convié plusieurs de ses leaders à sa conférence de presse.

La porte-parole de la GRC, la sergente Julie Gagnon, a catégoriquement refusé de donner davantage de détails sur cette collaboration stratégique. Mais pour plusieurs, cette stratégie est sans contredit un succès, du moins sur le plan de la communication.

«C'était une très bonne idée. En général, on a toujours encouragé notre communauté à s'adresser aux autorités si des fidèles se radicalisent», expose Salam Elmenyawi, président du Conseil musulman de Montréal.

Même son de cloche du côté de l'ancien officier du renseignement Michel Juneau-Katsuya. Il rappelle que la communauté musulmane canadienne a été égratignée à deux reprises en quelques semaines seulement, si l'on inclut la participation de jeunes hommes originaires d'Ontario à l'assaut meurtrier survenu dans un complexe gazier en Algérie.

«De sortir publiquement lorsqu'on a eu deux incidents coup sur coup, c'est une façon de démontrer au public canadien que la communauté musulmane et les leaders musulmans ne sont pas en faveur du radicalisme, de l'islam radical et des extrémistes», estime-t-il.

Cette sortie médiatique soigneusement orchestrée témoigne aussi du fait que le modèle de lutte antiterrorisme canadien est loin de correspondre à celui en vigueur au sud de la frontière, selon Stéphane Leman-Langlois, directeur de l'Équipe de recherche sur le terrorisme et l'antiterrorisme (ERTA), un groupe de recherche financé par le Conseil pour la recherche en sciences humaines du Canada.

Au Canada, depuis les quatre dernières décennies, la tendance est à la police communautaire: les agents sont sur le terrain et tissent des liens de confiance avec les diverses communautés ethniques, religieuses et culturelles, explique le chercheur. Ce n'est pas le cas aux États-Unis - du moins, pas à New York, cible terroriste de choix s'il en est une.

«Si on prend l'exemple de la police de New York (NYPD), il n'y a absolument pas de police communautaire. C'est une police de maintien d'ordre, d'application de la loi, de renseignement. La façon dont elle a abordé la communauté musulmane dernièrement est exactement le contraire de ce qu'il faut faire et le contraire de ce qui a mené à l'arrestation de deux personnes ici au Canada», explique M. Leman-Langlois.

Une vaste enquête menée par l'agence journalistique Associated Press en 2011 et 2012 a en effet conclu que le NYPD était devenu «l'une des agences de renseignement les plus agressives» au pays, outrepassant le cadre juridique de son mandat et ciblant les communautés ethniques en bafouant les lois fédérales.

Un indicateur rémunéré a admis, en octobre 2012, que la division du renseignement du NYPD lui avait ordonné d'«appâter» des musulmans en tenant des propos incendiaires dans les mosquées. À cela s'ajoutent les accusations de harcèlement, de profilage social et d'infiltration dans certains établissements scolaires.

«On traite les endroits où cette communauté-là est majoritaire comme des zones de guerre. On a fait un État policier dans l'État», résume M. Leman-Langlois.

À force de voir les choses par le petit bout de la lorgnette, on finit par oublier que les musulmans sont doublement victimes des attaques terroristes, plaide M. Juneau-Katsuya.

«Ils sont Canadiens eux aussi, donc ils subissent comme tous les autres et peuvent eux-mêmes avoir perdu des gens dans des attentats mais, en même temps, ils sont montrés du doigt parce qu'ils sont musulmans et qu'on dit que la religion islamique est problématique. Ce n'est pas la religion islamique qui est problématique, c'est l'interprétation que certains en font!»

Salam Elmenyawi affirme quant à lui que, lorsqu'ils prétendent commettre de tels gestes au nom de la religion, les extrémistes déforment les enseignements du Coran. Ce sont, en somme, des jihadistes bidon.

«Le jihad (guerre sainte) est un concept noble, un concept respectable. Ce qu'ils font, ce qu'ils voulaient faire, ce sont des crimes», dit-il. Il souligne que les accusés dans l'affaire du complot de Toronto, Chiheb Esseghaier et Raed Jaser, sont innocents jusqu'à preuve du contraire.

Ils font face notamment à des accusations de complot pour meurtre au profit d'une organisation terroriste, de participation aux activités d'une organisation terroriste et de complot pour nuire aux activités de transport au profit d'une organisation terroriste.

Selon la GRC, les deux hommes, commandités par des éléments iraniens d'Al-Qaïda, avaient l'intention de commettre un attentat terroriste contre un train de passagers dans la grande région de Toronto.

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Michel Juneau-Katsuya, ancien officier du renseignement