La maison de Mohammed Rached Esseghaier est perdue dans le dédale des petites rues d'El Ghazela, à une quinzaine de minutes du centre-ville de Tunis. Derrière la grille d'entrée, des amandiers et des limiers commencent à livrer leurs fruits colorés en ce début de printemps. Rien à voir avec l'ambiance lourde qui règne dans la résidence.

M. Esseghaier et sa femme Raoudha ont reçu comme une tonne de briques l'annonce de l'arrestation de leur fils Chiheb, lundi à Montréal. Leur aîné est accusé d'avoir voulu faire exploser un train de passagers près de Toronto avec un complice, en collaboration avec le groupe terroriste Al-Qaïda. Une possibilité que sa famille rejette catégoriquement.

«Mon fils est humain, il pratique sa religion, mais il n'arriverait jamais à tuer des gens», a fait valoir le père de l'accusé dans une longue entrevue accordée à La Presse, mercredi, dans son salon.

«Jamais, cela est impossible, a pour sa part affirmé sa mère. Il est très humain, il ne peut pas arriver à faire une chose pareille.»

Le «génie» de la famille

Chiheb Esseghaier, 30 ans, est considéré comme un «génie» par sa famille. Pendant la rencontre, ses parents et ses proches parlent en détail de ses recherches sur la détection du cancer de la prostate, de ses travaux sur la nanotechnologie, de ses articles publiés dans des magazines scientifiques prestigieux.

Dans le vaste séjour de la maison familiale, une photo d'Esseghaier trône bien en évidence dans un joli cadre. Le visage poupin qu'il affiche sur l'image prise en 2008 - l'année de son départ pour le Québec - est à mille lieues de la barbe fournie qu'il porte aujourd'hui.

La mère et une tante de l'accusé, présente lors de l'entrevue, arborent toutes deux une longue chevelure et une tenue occidentale. La famille élargie de l'accusé est constituée d'avocats, de médecins, d'ingénieurs. Une maisonnée qui respire tout sauf le fanatisme religieux.

Mohammed Rached Esseghaier réfute les accusations voulant que son fils soit un extrémiste islamique lié à Al-Qaïda, comme l'indiquent les chefs d'accusation. «L'islam, c'est un soutien moral pour mon fils. Il est religieux, oui, mais je ne peux pas dire très. Je vous assure que mon fils n'adhère jamais à ces doctrines, surtout quand le but est de tuer des gens.»

Jusqu'à son arrestation il y a quatre jours, Chiheb Esseghaier a toujours maintenu une relation étroite avec sa famille, ont affirmé mercredi ses parents. Ils se parlaient toutes les deux ou trois semaines et échangeaient des courriels chaque semaine. Ses parents soutiennent n'avoir remarqué aucun changement dans l'attitude ou le discours de leur fils ces derniers temps.

Selon M. Esseghaier - et tous ses proches présents mercredi -, son fils a fait l'objet d'un profilage racial et religieux de la part des autorités policières canadiennes. Sa grosse barbe hirsute lui aurait nui, croit l'ingénieur retraité. «Il a été un peu suivi peut-être à cause de son apparence anormale.»

À cause de Boston

Le patriarche estime en outre que l'attentat commis au marathon de Boston il y a 10 jours a accéléré - voire causé - l'arrestation de son fils et de Raed Jaser, qu'on soupçonne d'être son complice. «Ce qui s'est passé à Boston, ç'a été tout un choc pour l'Amérique. Il y a des gens qui le suivaient au Canada, et les attentats de Boston ont été un prélude à l'arrestation de mon fils.»

Une tante d'Esseghaier, qui a préféré garder l'anonymat, va encore plus loin. «Je le connais depuis qu'il est né, je suis persuadée qu'ils se sont attaqués à lui juste à cause de son apparence, parce qu'il est tunisien, parce qu'il est musulman et parce qu'il porte la barbe. Et ça, ce ne sont pas des raisons d'inculpation dans une démocratie comme le Canada.»

Toute la famille croit que les accusations portées par la Gendarmerie royale du Canada sont «sans fondement». Et déplore le travail des médias, qui, selon eux, traitent déjà Chiheb Esseghaier comme un coupable. Son père admet qu'il aurait préféré que son fils prenne un avocat, ce que l'accusé a refusé en début de semaine.

Mercredi encore, devant une juge à Toronto, le Tunisien a réitéré qu'il préférait se défendre seul en soulignant que «le Code criminel n'est pas un livre saint, il est écrit par des êtres qui ne sont pas parfaits, car seul le Créateur est parfait».

Le jeune homme fait face à cinq chefs d'accusation très sérieux, soit complot pour meurtre, participation aux activités d'un groupe terroriste (deux chefs), incitation à participer à des activités terroristes et complot afin de nuire à un transport public.

Le père d'Esseghaier devrait déposer une demande de visa aujourd'hui pour tenter d'aller voir son fils au Canada, a-t-il confié à La Presse. Il n'a pas parlé à son fils depuis son inculpation.