(Nantes) Tous les matins à 9 h tapantes, Gisèle, 72 ans, « trompe la solitude » à la caisse d’un hypermarché de l’agglomération nantaise, dans l’ouest de la France. Elle choisit toujours la « bla bla caisse », destinée aux clients bavards ou peu pressés.

Devant le comptoir, un panneau bleu marqué « Ici on prend son temps » invite les clients loquaces…. et met en garde les impatients.

« Je parle de la pluie, du beau temps, de mes petits-enfants qui arrivent pour les vacances », explique la retraitée, vêtue d’une élégante veste bleu marine.  

Hors des périodes de vacances scolaires, cette sortie quotidienne de Gisèle dans un magasin de l’enseigne Hyper U, est souvent sa seule occasion de « voir du monde » pendant la journée. Alors elle se « fait belle » avant d’y aller.  

« J’avais un club de bridge, mais avec la COVID-19 je n’ai plus tellement envie d’y aller », raconte-t-elle.

Derrière son comptoir de caisse, Rozenn Charpentier, 52 ans, scanne des produits à la chaîne tout en bavardant avec une cliente d’une soixantaine d’années, agacée d’avoir « encore pris un PV » alors qu’elle n’était « pas si mal garée ».  

Passent ensuite en caisse un sexagénaire guilleret qui vient de gagner « 150 balles au Millionnaire », un jeu à gratter, et deux adolescents en parka qui se payent, tout sourire, des pistolets à billes. « Soyez prudent quand même », leur glisse l’hôtesse.  

Lien social

« À la “bla bla caisse” je me permets d’engager la conversation. Les clients qui y passent aiment bien ça, en général », assure Rozenn Charpentier, veste d’uniforme rose vif.

Comme elle, toutes les hôtesses de la « bla bla caisse » sont volontaires et se relaient pour la faire tourner tout au long de la journée.

Contre-pied des six caisses automatiques, la « caisse lente » a été ouverte il y a tout juste deux ans pour « renouer un lien de proximité » avec l’ensemble de la clientèle, explique Régis Défontaine, responsable communication et animation de l’Hyper U.

« Les échanges entre clients et commerçants ? On n’a rien inventé. Mais aujourd’hui il y a du lien social qui se perd et certains le regrettent. C’est pas Amazon ici », dit en souriant le jeune homme.  

Dans les faits, reconnaît-il, cette caisse est surtout prisée des personnes âgées, plus isolées et moins pressées.  

Le même système existe dans d’autres enseignes, comme Auchan et Carrefour, dont 150 hypermarchés sont désormais équipés de « bla bla bla caisses ». Le système a été généralisé au mois de janvier.  

« Cela répond à une attente de certains clients qui préfèrent prendre leur temps, échanger », précise Pierre-Emmanuel Vasseur, directeur d’un Carrefour dans la région d’Angers, à quelque 90 kilomètres à l’est de Nantes, qui dit ne pas viser de public particulier.  

« Beau parleur »

Sa nouvelle caisse a ouvert il y a à peine une semaine. Dans la file d’attente, certains clients s’interrogent.  

« De quoi faut-il parler ? », demande un homme d’une soixantaine d’années, cheveux blancs bien coiffés et chemise repassée. « Il y a un temps limité ? », lance une cliente enthousiaste.  

« Vous êtes charmante, puisqu’il faut papoter », glisse un homme à la jeune hôtesse de caisse.  

Derrière lui, un client hésite devant l’écriteau qui signale la « bla bla bla caisse ». « Moi je ne suis pas un beau parleur », marmonne-t-il avant de pousser son chariot vers un autre comptoir.  

Ici aussi, la nouvelle caisse fait mouche auprès des personnes âgées.  

Marie-Luc Lefeuvre-Justeau, 82 ans, « bavarde dans les commerces », par politesse et « pour (se) distraire ». « Mais il y a toujours des gens pressés pour râler. Ici, on n’ennuie personne. »