Tables, chaises et lits à même le trottoir, et des heures de discussion: un duo d'artistes français est installé depuis plus de trois semaines à New York, vivant et dormant sur la célèbre artère de Broadway pour célébrer «le vivre ensemble».

Laurent Boijeot, 34 ans, et Sébastien Renauld, 33 ans, accompagnés du photographe Clément Martin, sont partis de la 125e rue à Harlem, descendant lentement chaque jour avec leurs meubles le célèbre boulevard.

Ils y vivent à temps plein, y nouent des centaines de conversations avec des New-Yorkais habituellement pressés, le nez dans leur téléphone, mais soudain curieux de cet espace de discussion impromptue.

Après un mois passé dans la rue, le trio compte arriver dimanche à Battery Park au sud de Manhattan, fin de son aventure new-yorkaise.

L'accueil, disent les artistes, a été particulièrement chaleureux.

Les New-Yorkais «comprennent vite que c'est une performance artistique, certains descendent pour nous remercier», explique Laurent Boijeot, sociologue de formation. «"Bienvenue", "merci", c'est la première fois que je l'entends autant», ajoute Sébastien Renauld, autour d'une tasse de café offerte dans une noix de coco, à même leur petite table de pin rustique.

La police les a laissé faire, y compris contre l'avis de concierges d'immeubles qui n'apprécient pas forcément ces nomades de l'art, descendant chaque jour environ six pâtés de maison avec leurs meubles sur le dos et leurs valises en carton.

Des habitants sont venus leur proposer leur douche, les ont aidés à déplacer tables et chaises. Ce matin, Marie-Paule, artiste croisée près de Bleecker Street, dans Greenwich Village, leur a apporté des viennoiseries. Elle raconte s'être d'abord arrêtée «intriguée par l'architecture des chaises» en pin.

Ils ont affronté quelques jours de pluie - désagréable en ce qu'elle empêche les interactions, dit Clément Martin - savouré l'été indien, affronté un week-end de froid, traversé Times Square...

De cette expérience artistique «de l'ordre de la bienveillance», financée partiellement par une subvention de la Direction régionale des actions culturelles (DRAC) de Lorraine, ils ont accumulé de formidables souvenirs humains: un chanteur d'opéra barbu qui vient leur chanter Carmen et leur offre un duo impromptu avec une violoniste passant par là en vélo; un journaliste de NBC, Harry Smith, qui après avoir raconté leur histoire revient plaisanter avec eux. Des soupers animés, des discussions «philosophico-artistiques à 3 heures du matin avec des policiers sur ce qu'est l'art», raconte aussi Sébastien Renauld.

Les New-Yorkais «n'ont pas peur de l'autre», souligne Laurent Boijeot.

Souvent la conversation se fait intime, parfois même trop, confie-t-il aussi. Il avoue avoir même une fois interrompu un homme qui lui confiait dans le détail le drame de sa vie. «Je ne pouvais pas».

Prochaine étape, Tokyo

Leur motivation? «L'art, c'est produire des émotions collectives», explique Sébastien Renauld, architecte de formation, à propos de cette «action immatérielle».

Et il souligne aussi que la table et la modeste chaise en pin se moquent des hiérarchies sociales, mettent tout le monde sur un pied d'égalité.

L'aventure aurait pu tourner court, reconnaît-il aussi.

Les compères originaires de Nancy (est de la France), qui avaient déjà monté des opérations similaires, mais plus courtes, dans une dizaine de villes européennes, dont Venise, Dresde, Bruxelles et Zurich, n'avaient demandé aucune autorisation. Ils ignoraient quasiment tout de la ville de 8,5 millions d'habitants mais ont été soutenus par l'Association Brooklyn Street Art et un magasin de bricolage de Brooklyn où ils ont pu fabriquer leurs meubles.

Ils rentreront en France le 30 octobre, mais pas pour longtemps. Le 13 novembre, ils repartent pour Tokyo, pour une traversée similaire de la ville, du 20 novembre au 21 décembre. Et rêvent aussi désormais de renouveler l'expérience à Dakar et en Amérique latine, «où les gens utilisent la rue différemment».