Devant une pizza relevée de délicats vers de farine, Jérémy, 19 ans, rassure sa mère: «c'est bon, ils sont morts!», lui lance-t-il alors qu'il entame le plat de résistance d'un menu à base d'insectes dans une pizzeria bretonne, dans l'ouest de la France.

Après avoir lancé avec succès quelques dégustations sur des marchés cet été, le patron Alexis Chambon propose depuis des plats à base de criquets, grillons, vers de farine et phasmes, qu'il est le seul à cuisiner en France, affirme-t-il. L'idée a germé de sa rencontre avec Michel Collin, entomologiste passionné qui réside lui aussi à Guidel, à quelques centaines de mètres, et lui livre désormais une matière première bien fraîche et toute grouillante.

Attablée, la famille Kersaho, «curieuse de nature» raconte le père, voit alors arriver criquets pèlerins, grillons et vers de farine (ténébrions) qui cherchent à s'échapper de leurs boîtes en plastique.

«Pour les endormir un peu» avant des les plonger dans le bac à friture, Alexis met ses ingrédients au congélateur. Une fois frits quelques minutes à l'huile, il accommode les grillons en salade avec «une sauce provençale».

Yannick, Catherine et leur fils, visiblement excités, attaquent les grillons: «un peu salé», diagnostique Jérémy, «un peu caramélisé» juge Catherine, tandis que Yannick sent «un arrière-goût de noisette». «C'est comme quand on mange une petite crevette sans la décortiquer», ajoute le père. 

Avec son fils, téméraire lui aussi, ils poussent l'expérience jusqu'à goûter les vers de farine vivants, avant que les pizzas ne soient enfournées. «Un goût de châtaigne crue ?», s'interroge Yannick à haute voix, tandis que son fils trouve que «ça n'a pas beaucoup de goût».

Les criquets, aussi passés à la friture et accompagnés de «sauces thaï et mexicaine», font eux l'unanimité. Tout le monde s'accorde sur «un goût de cacahuète», plus difficile à déceler sous la nappe de chocolat au dessert.

Alexis, qui a croqué son premier criquet en juillet et prend «un malin plaisir» à les préparer, a bien compris qu'il pouvait «surfer» sur la vague de la nouveauté.

«Je pense que dans les bars, cela va devenir tendance!», pronostique-t-il, voyant un grand avenir au criquet, «nettement meilleur et bien plus sain que la cacahuète» à l'apéritif. Il prépare d'ailleurs le lancement d'une franchise.

M. Collin, qui ne mange pas d'insectes -- ce serait comme «manger ses bébés», vante aussi leurs qualités diététiques. «Il y a 82% de protéine dans un criquet!», s'exclame-t-il.

Mais l'entomologiste, qui passe son temps à étudier ses 15 000 à 20 000 insectes et à faire des animations scolaires, ne veut pas se lancer dans l'élevage en gros.

«Pour ce soir, il fallait 200 criquets, plus, cela va être impossible, il faut ouvrir un centre d'élevage», raconte-il avec sa blouse blanche dans son insectarium.

C'est pourquoi le pizzaiolo de Guidel est déjà en contact avec un fournisseur allemand. Et il est aussi en discussion avec les services vétérinaires car en Europe, les insectes sont d'ordinaire réservés à l'alimentation des reptiles, et non à celle des hommes.