Quiconque passe par Montréal doit contourner d’innombrables chantiers et leurs cônes orange. Ces symboles d’une ville en perpétuel chantier n’ont pourtant rien d’une fatalité, soutiennent des experts, militants, entrepreneurs et élus. À la veille du Sommet sur les chantiers dans la métropole, La Presse présente les solutions à privilégier.

Rénover la ville autrement

« Les cônes orange, il y en a trop et ils sont trop gros, reconnaît d’emblée Émilie Thuillier, responsable des infrastructures au comité exécutif de la Ville de Montréal. En ce moment, les règles pour leur présence et leur disposition, c’est calibré sur des autoroutes et des rues où ça roule très vite. En ville, sur des rues à 30, 40 ou 50 km/h, on ne devrait pas avoir les mêmes normes. » L’enjeu se trouvera au centre des discussions cette semaine alors que Montréal organise le 30 mars le Sommet sur les chantiers dans la métropole, où Émilie Thuillier dit vouloir trouver « des solutions très concrètes » à l’omniprésence des chantiers dans la métropole.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

On doit revoir la façon de gérer les chantiers, estime Émilie Thuillier, responsable des infrastructures au comité exécutif de la Ville de Montréal.

Cet évènement réunira des élus de partout au Québec, mais aussi des entreprises dans le milieu de la construction, des experts, de grandes organisations et des organismes communautaires. « Il y a plusieurs discussions qu’on veut avoir, dit Mme Thuillier. Sur l’occupation du domaine public par exemple, on veut mettre fin aux entrepreneurs qui s’installent une semaine avant leur chantier, avec toute la signalisation. C’est inutile, et ça bloque tout le monde », lance-t-elle.

« On peut faire mieux sans avoir plus aussi », persiste la conseillère, qui appelle à « changer la façon dont on gère les chantiers, tout le monde ensemble ». « On en veut, des chantiers. S’il y en a beaucoup à Montréal, c’est parce que l’économie va bien. Mais il faut aussi bien les tenir. Un cône, ça coûte 137 $ en moyenne sur le marché. Comment ça se fait que les entrepreneurs les laissent traîner comme ça ? Nous, on peut se doter d’une façon de les récupérer s’ils ne les veulent pas », insiste encore Mme Thuillier.

L’administration Plante dit avoir « documenté plusieurs éléments irritants majeurs » des travaux dans la métropole, en vue du Sommet sur les chantiers. « Ce qu’on veut, c’est dégager des solutions nouvelles et ambitieuses. On a besoin de rénover la ville autrement », conclut-elle.

Mieux recenser les chantiers

« On ne sait souvent pas réellement qui est responsable des travaux », constate Catherine Morency, titulaire de la Chaire mobilité à Polytechnique Montréal. Pour elle, le principal enjeu est la difficulté à avoir une vue d’ensemble des chantiers dans la métropole. « La priorité, pour moi, c’est de mieux inventorier les chantiers. Avec de vraies données, on serait en mesure d’offrir de meilleures options de trajectoires », fait-elle valoir.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Pour améliorer la mobilité, il faut revoir la façon dont on se déplace, note Catherine Morency, titulaire de la Chaire mobilité à Polytechnique Montréal.

« Les gens qui circulent s’en vont toujours d’un point A à un point B, mais entre les deux, il faut réfléchir à la trajectoire complète. Peut-être que c’est dès le départ qu’on change le trajet. Si on reculait dans ce trajet, peut-être qu’on verrait que la personne peut se stationner au métro, plutôt que d’aller au centre-ville et être prise partout dans des petites rues. Il faut surtout ouvrir la quantité d’options », poursuit Mme Morency.

Pour le reste, dit-elle, la population doit aussi comprendre « qu’il y a tout simplement trop de voitures à Montréal ». On compte 1 million de véhicules immatriculés dans l’île et 2,6 millions dans les couronnes. « Réallouer l’espace, c’est la solution principale. Mathématiquement, le nombre d’automobiles, ça ne rentre plus dans la ville. On ne peut plus imaginer que l’ensemble des véhicules va pouvoir continuer à circuler aisément, surtout avec la quantité de chantiers qu’on a et qui s’en vient, vu le déficit d’entretien de nos infrastructures », insiste la professeure.

Une application pour « tout coordonner »

Peut-on penser réunir toutes les entraves en une seule application, pour mieux les gérer ? C’est le combat de la PDG d’OPA Technologies, Caroline Arnouk, qui tente depuis quelques années de faire valoir à la Ville de Montréal que son application « pourrait être une bonne solution ». Son entreprise, qui a déjà fait affaire avec les gouvernements provincial et fédéral dans les dossiers de l’échangeur Turcot et du pont Samuel-De Champlain, propose aux gouvernements un logiciel qui permet, en un clic, de « détecter des situations de conflit de circulation sur le territoire ».

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

L’application d’OPA Technologies permet de mieux coordonner les chantiers et éviter les situations de conflits de circulation, explique la PDG de l’entreprise, Caroline Arnouk.

« En gros, sur le logiciel, vous entrez tous vos projets et la programmation des chantiers. Après ça, vous faites un clic de détection de conflits, et là vous pouvez venir prioriser les chantiers en termes de fermetures de rues. Puis, vous entrez vos détours partout, et à nouveau, vous voyez s’il y a des conflits. Tout est en temps réel », explique Mme Arnouk.

Une fois qu’un projet tombe en chantier et qu’il y a une fermeture complète, « on peut envoyer la donnée à Waze rapidement, en vertu d’un partenariat qu’on a signé avec eux ». « Là, les gens ont accès à la bonne information au bon moment dans une application qui est déjà très utilisée. Tout ça est protégé par un brevet canadien », poursuit la PDG d’OPA Technologies.

« C’est une solution qui a été implantée, rodée, essayée dans plusieurs villes, donc on est prêts pour aider Montréal », poursuit encore l’entrepreneure, qui rappelle que son logiciel permet aussi de « transférer les données aux entrepreneurs, pour qu’eux s’assurent de demander leur permis de construction à la bonne période ». « C’est la même chose pour la Ville : elle a alors un portrait global de l’attribution des permis sur son territoire », soutient-elle à ce sujet.

Faire plus pour les commerces

L’administration Plante devrait en priorité « gérer les entraves sur nos rues commerciales », estime le directeur général de Vivre en ville, Christian Savard. « On va faire Sainte-Catherine Ouest bientôt. Qu’il y ait des entraves pour la circulation dans des rues secondaires, ça fait partie du développement économique de la ville, mais le commercial, c’est là qu’on doit devenir particulièrement exemplaire. Ça fait un mauvais nom à Montréal, partout », affirme-t-il.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

La gestion des « microchantiers ou des fins de chantier » est une grande partie du problème, note Christian Savard, directeur général de Vivre en ville. « Le matériel et les cônes demeurent sur place beaucoup trop longtemps », dénonce-t-il.

À ses yeux, le principal problème réside dans la gestion des « microchantiers ou des fins de chantier ». « C’est là que j’ai davantage l’impression que ça traîne en longueur, et que ça défigure la ville, le matériel et les cônes demeurant sur place beaucoup trop longtemps. C’est ça qui, au fond, donne parfois l’impression que le centre-ville, c’est l’entrepôt des cônes. Tous ces petits chantiers, vu qu’ils ne sont pas majeurs, on dirait qu’on les néglige », poursuit M. Savard à ce sujet.

Il dit néanmoins avoir de plus en plus de mal à croire à un réel changement de culture de ce côté. « J’ai de la misère à y croire, comme plusieurs. Il n’y a pas un maire ou une mairesse qui ne l’a pas dit dans les 10 ou 15 dernières années, mais il semblerait que personne ne le fasse. Si on était dans une culture où on retire la signalisation quand elle n’est pas utile, où on rend la signalisation plus esthétique, on n’aurait pas du tout le même débat. Là, on est dans une culture du “ce n’est pas grave, on va revenir dans trois semaines”. Et ça, c’est aux gens sur le terrain, ultimement, que revient de changer cette culture », explique encore M. Savard.

Des travaux la nuit ?

L’une des solutions pourrait aussi être de tenir davantage de chantiers « 24 heures sur 24 », avance Sarah Bensadoun, porte-parole au ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD). C’est déjà le cas de certains travaux majeurs, comme celui du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Une politique révisée en 2019 par le Ministère existe d’ailleurs pour encadrer ce type de chantiers sans interruption, déjà ciblés par plusieurs administrations municipales, dont l’administration Plante, comme une solution porteuse, lorsque cela est possible.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Augmenter le nombre de chantiers « 24 heures sur 24 » pourrait permettre d’accélérer les travaux, note Sarah Bensadoun, porte-parole au ministère des Transports et de la Mobilité durable.

« Parfois, ça vaut la peine de payer plus, mais de travailler sur un laps de temps beaucoup plus court, surtout si ça signifie des avantages pour les usagers de la route. La durée du chantier est ainsi beaucoup plus courte, on peut même carrément diminuer de moitié dans certains cas », fait-elle valoir.

La solution ne s’applique pas à « tous les types de chantiers », rappelle toutefois la porte-parole du Ministère. « On parle surtout de réfection ou de reconstruction de structures, d’autoroutes ou d’échangeurs, ou encore d’élargissement d’autoroutes, voire de remplacement de signalisation et d’éclairage. Ça touche aussi tous les autres travaux en dehors des voies de circulation », dit-elle.

Jusqu’ici, le gouvernement ne vise que trois régions pour ses travaux « 24 heures sur 24 » : les villes de Montréal, Québec et Gatineau. « Il y a tout un aspect financier, mais aussi de disponibilité des ressources, à considérer. Pour l’entrepreneur, ça implique une disponibilité de l’équipement et de la main-d’œuvre sur des horaires non traditionnels. Les montants sont donc forcément plus élevés, mais ce qu’on regarde, c’est le coût par rapport aux bénéfices », conclut Mme Bensadoun.

Pénaliser davantage le laisser-aller

Le problème « fondamental » des chantiers dans la métropole, « ce sont les enseignes et la signalisation résiduelle qui traînent dans les rues », estime l’expert en planification des transports à l’Université de Montréal Pierre Barrieau.

« Souvent, dans l’industrie, c’est une question de nonchalance. Et je pense que la seule façon qu’on peut combattre cette nonchalance, malheureusement, ce sont des amendes plus salées. C’est la seule solution concrète pour mettre fin à l’abus de la voie publique », insiste-t-il.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Pour combattre la nonchalance des entrepreneurs qui laissent traîner des cônes et d’autres éléments de signalisation, Pierre Barrieau, expert en planification des transports à l’Université de Montréal, propose d’instaurer des amendes plus salées.

M. Barrieau propose à la Ville de tenir, par exemple, un projet pilote où il serait possible de réaliser de « 30 à 40 chantiers de façon optimisée, avec des délais courts et des équipes consacrées, puis des incitations financières ». « Je suis convaincu que ça ferait en sorte qu’on optimise nos chantiers, et du même coup, le problème des enseignes qui traînent. »

L’autre enjeu, enchaîne l’expert, est le fait que les entrepreneurs balisent souvent les chantiers avec de la signalisation « avant que ceux-ci ne soient même vraiment actifs ». « Un chantier ne devrait pas avoir le droit d’être balisé plus qu’un jour à l’avance, et surtout, il ne devrait être balisé que pour la durée nécessaire, pas pour toute la durée du chantier. Ça ferait déjà une grosse différence sur la perception d’être pris constamment dans les chantiers », soutient M. Barrieau.