Le gouvernement fédéral a employé la méthode forte pour empêcher l’entreprise Ricova d’envoyer le recyclage mal trié des Montréalais vers des pays en voie de développement, révèlent des documents judiciaires inédits.

L’automne dernier, Ottawa a bloqué plusieurs conteneurs du recycleur qui s’apprêtaient à prendre la mer et l’a placé sous de strictes conditions d’opération.

Ricova « engage des procédures pour exporter sans permis des conteneurs chargés de déchets de papier et de carton divers mélangés avec des déchets de plastiques divers et autres types de déchets », estimait Environnement Canada après avoir inspecté plusieurs ballots de recyclage de l’entreprise au port de Montréal. Une contravention aux lois et aux conventions internationales qui encadrent de façon stricte l’exportation des déchets.

Le recycleur a d’ailleurs admis qu’il ne respectait pas les règles. « Une période de grâce de 10 à 12 mois serait nécessaire pour adapter notre industrie aux exigences », a écrit Ricova dans une lettre à Environnement Canada. Les ballots de papier de Ricova contenaient jusqu’à 35 % d’autres matières, bien au-delà des taux légaux pour l’exportation.

Ces inspections survenaient dans la foulée de la diffusion d’un reportage d’Enquête montrant qu’une partie du bac bleu des Montréalais finissait en Inde, où les déchets de plastique sont régulièrement utilisés comme combustibles. Une partie de la population locale se plaint de graves problèmes de santé liés à la pollution.

Les actions d’Ottawa ont entraîné une crise, a dénoncé l’entreprise. Incapable de les faire sortir du pays, Ricova devait empiler les ballots de recyclage à l’intérieur et autour de ses centres de tri, posant un risque d’incendie et d’interruption de la collecte. En septembre, Montréal a demandé l’aide de sociétés papetières québécoises et a écarté Ricova du centre de tri de Lachine pour régler la situation.

« Une catastrophe pour notre industrie »

Les coulisses de cette crise du recyclage émergent parce que Ricova a tenté de contester les actions d’Ottawa devant le Tribunal de la protection de l’environnement du Canada.

« Nos nombreux clients situés en Inde n’ont jamais refusé aucun de nos envois depuis 2009, plaidait l’entreprise dans sa procédure. Comment le gouvernement canadien peut-il implanter une telle loi sans formation et informations préalables aux entreprises ? L’arrêt de nos exportations vers l’Inde sans préavis en 2022 en vertu d’un règlement existant depuis 2010 représente une catastrophe pour notre industrie. »

Sur le plan légal, Ricova contestait l’imposition par Ottawa d’un ordre d’exécution en matière de protection de l’environnement (OEPE), l’outil qu’utilise Environnement Canada pour faire cesser des infractions environnementales sans lancer de poursuites.

Cet OEPE la forçait à stopper les exportations illégales, à transmettre un plan environnemental à Ottawa et à informer Environnement Canada de toute exportation future.

« À ce jour, les personnes concernées par l’OEPE ne s’y conforment pas », concluait le fonctionnaire fédéral chargé de son application dans une déclaration sous serment, en octobre dernier. Il a notamment cité des tentatives d’exportation effectuées sans l’avertir.

Le Tribunal de la protection de l’environnement du Canada ne se penchera jamais sur le fond de l’affaire : Ricova avait 30 jours pour contester l’OEPE, mais ses documents sont arrivés avec deux jours de retard. Elle blâme FedEx.

« Le Tribunal estime que les demandeurs n’ont pas démontré qu’une [extension] du délai serait dans l’intérêt public », conclut le Tribunal dans une décision datée de novembre, mais rendue publique ce mois-ci. « L’intérêt public comprend évidemment la protection de l’environnement. Le Tribunal trouve qu’il n’est pas dans l’intérêt public d’exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger en faveur d’une partie qui fait fi du caractère obligatoire de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. »

« Nous nous sommes conformés »

Appelée à commenter la situation, Ricova affirme qu’elle respecte l’OEPE et que ses ballots de recyclage sont maintenant beaucoup mieux triés.

« Nous nous sommes conformés à l’ordre d’exécution », a assuré Laurence Tôth, directrice des communications de l’entreprise, par courriel. « Grâce à des investissements privés de plus de six millions de dollars, nos ballots de papier mixte atteignent maintenant un taux de contamination de 2 % à notre centre de tri de Saint-Michel. »

Malgré les problèmes de main-d’œuvre et d’approvisionnement, de même que des ralentissements causés par la pandémie mondiale de COVID-19, nous avons pu atteindre nos objectifs.

Laurence Tôth, directrice des communications de Ricova

C’est la Société VIA, une entreprise d’économie sociale, qui a pris le relais de Ricova au centre de tri de Lachine depuis octobre dernier. En février, elle indiquait que les ballots de papier qu’elle y produisait sont contaminés à hauteur de 10 %, en baisse par rapport aux 30 % qu’affichait Ricova dans ses dernières semaines aux manettes.

VIA exporte la grande majorité (80 %) des ballots de papier qui sortent du centre de tri de Lachine, notamment vers des pays en développement comme l’Inde, même si son modèle d’affaires préconise plutôt la valorisation locale de la matière. Les ballots de papier écoulés sur le marché local sont vendus à la papetière Cascades.

Environnement Canada n’avait pas répondu à La Presse au moment de publier ce texte.