Les refuges pour sans-abri débordent tellement par temps froid que la Ville de Montréal a dû déclencher des mesures d’urgence à deux reprises en février pour pallier le problème, comme elle le fait en cas d’inondation ou d’incendie majeur.

C’est ce qu’a relevé mercredi le commissaire aux personnes en situation d’itinérance de la Ville, dans une rare sortie publique qui accompagne la publication d’un « signal d’alarme » sous forme de lettre ouverte1.

« C’est la première fois qu’on considérait l’itinérance et le froid comme un sinistre », a affirmé Serge Lareault, le commissaire, en entrevue avec La Presse. « C’est un mécanisme qui n’est pas ordinaire. On ne déclenche pas des mesures d’urgence à tout bout de champ et pour le fun. Mais ça démontre qu’on est rendus à une situation assez inquiétante. »

Pourquoi ? « Parce qu’il y a débordement dans les refuges, parce qu’il fait froid, parce qu’il y a danger de mort. »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Serge Lareault, commissaire aux personnes en situation d’itinérance de la Ville de Montréal

M. Lareault a souligné que le débordement des refuges pour personnes en situation d’itinérance avait récemment été ajouté aux critères officiels qui permettent à la Ville de Montréal de déclencher des mesures d’urgence, comme pour les catastrophes naturelles. Ce changement est « historique », a-t-il dit.

Ces déclarations permettent par exemple à la Ville de mobiliser les équipes de la sécurité civile et de libérer plus rapidement les fonds nécessaires. Il ne s’agit toutefois pas d’une déclaration d’état d’urgence, comme celle en vigueur à Montréal alors que la pandémie de COVID-19 faisait rage.

1600 places

Les deux déclarations de mesures d’urgence ont mené à l’ouverture de refuges temporaires pendant les dernières vagues de froid. Le YMCA centre-ville, près de l’intersection des rues Stanley et Sainte-Catherine, a servi chaque fois.

« Pouvant accueillir 80 personnes, ce lieu bénéficiera de la présence d’intervenants ainsi que d’agents de sécurité embauchés par l’agglomération, qui veilleront au bon fonctionnement, indiquait la Ville le 24 février. Un local sera aussi mis exclusivement à la disposition des femmes qui fréquenteront le site. »

Selon Serge Lareault, plusieurs dizaines de personnes ont utilisé ce refuge d’urgence.

« Ce n’est pas pour rien qu’on fait ça », a-t-il dit. « C’est parce qu’il manque de places dans le réseau habituel. » Lorsqu’une vague de froid est imminente, un comité se réunit et examine l’état d’occupation des refuges.

Montréal compte actuellement 1600 places d’urgence réparties dans 31 sites d’accueil. Outre le « simple » manque de places, les critères d’admission de certaines installations poussent aussi des sans-abri vers les refuges d’urgence.

« Les personnes qui se retrouvent la nuit dans le grand froid, ce sont des personnes qui vivent des enjeux de santé mentale, de dépendance. Qui sont en état d’intoxication. Qui ne sont pas acceptées ou ne sont pas capables de se rendre dans les refuges réguliers », a dit M. Lareault.

Ce qu’il manque à Montréal, ce sont des refuges capables d’accueillir cette clientèle-là, d’en prendre soin et de la stabiliser. Ce sont ces gens-là qu’on voit dans la rue la nuit.

Serge Lareault, commissaire aux personnes en situation d’itinérance de la Ville de Montréal

Découragement et solutions

En poste comme commissaire depuis sept ans, Serge Lareault s’exprime rarement dans l’espace public malgré l’importance qu’a prise l’enjeu de l’itinérance à Montréal depuis le début de la pandémie de COVID-19. Il pointe ses journées de travail de « 12 à 14 heures » pendant les dernières années.

« Quand le poste de commissaire a été créé, il y a eu beaucoup d’attentes. Les gens voudraient que je sois sur la place publique pour revendiquer », a-t-il dit. Mais il faut comprendre « que j’ai un travail qui est parfois beaucoup plus dans l’ombre », notamment en matière de conseils à l’administration et aux élus.

Mais cette fois, alors que le budget du Québec approche, M. Lareault jugeait important d’attirer l’attention sur la crise de l’itinérance que traverse la métropole.

« Ce qui m’a beaucoup frappé dans les derniers mois, c’est le nombre d’appels de Montréalais et de Montréalaises qui me disent combien ils sont découragés de la situation. Les gens en arrivent à la conclusion qu’il n’y en a pas de solution. Mais ce n’est pas vrai, il y a des solutions », a-t-il dit.

« Le cri d’alarme qu’on lance à la Ville de Montréal, c’est qu’il faut appuyer sur l’accélérateur. Il faut que les gouvernements supérieurs investissent dans les refuges, qu’ils investissent dans les logements sociaux. Ça sort au compte-gouttes, les logements sociaux. »

1. Lisez la lettre ouverte de Serge Lareault dans la section Débats