La tragédie ukrainienne est faite de drames, mais elle recèle aussi des élans de solidarité et des exemples de résilience porteurs d’espoir. Montréal est devenu le refuge de nombreuses familles et peut-être le lieu où s’amorcera leur nouvelle vie.

Une bouteille à la mer

Kateryna Kotliar a lancé, de la Pologne où elle s’était réfugiée au début de la guerre, l’équivalent moderne d’une bouteille à la mer, un message sur Facebook.

« Est-ce que c’est possible de venir au Canada sans argent avec mes deux enfants et ma mère ? », a demandé l’Ukrainienne de 37 ans.

« Est-ce que des gens peuvent m’aider à avoir une nouvelle vie ? »

Son message a été lu de l’autre côté de l’Atlantique par la Montréalaise Kelly Conrick.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Kateryna Kotliar a pu venir vivre à Montréal grâce à l’aide d’un couple montréalais.

J’ai rencontré des gens vraiment extraordinaires qui m’ont aidée financièrement quand j’étais en Pologne, qui ont payé pour les billets d’avion pour qu’on vienne ici et qui m’ont aidée à m’installer.

Kateryna Kotliar

Kelly Conrick et son mari François Dinel, ces « gens vraiment extraordinaires », lui ont offert un appartement où vivre gratuitement avec ses enfants pendant un an, à quelques pas du métro Jean-Talon, dans un des immeubles qu’ils possèdent.

Ils ont aussi logé sa mère, l’ont aidée à dénicher un emploi, à obtenir un numéro d’assurance sociale, à trouver un organisme qui donne des cours du soir de francisation. « À tout faire », résume Kateryna, que La Presse a rencontrée au Centre d’appui aux communautés immigrantes (CACI).

« Ce sont les meilleures personnes au monde ! »

Infirmière dans son pays, Kateryna est arrivée au Québec le 14 mai avec ses deux enfants, Myroslav et Mila, et sa mère, Olena Khiblina. Elle a fui sa ville, Kyiv, au premier jour de l’invasion russe, en février 2022.

Quand j’ai entendu le bruit des bombes, j’ai réveillé toute ma famille. J’ai pris mes documents, de la nourriture, et on est partis en voiture. Je ne croyais pas que cette guerre allait éclater. Je ne voulais pas y croire.

Kateryna Kotliar

Kateryna s’est réfugiée avec les siens en Pologne, après avoir passé quelques jours dans une ville ukrainienne, loin de Kyiv, pour échapper aux salves de missiles russes.

La Pologne a accueilli le plus grand nombre d’Ukrainiens fuyant la guerre : près de 1,5 million de personnes s’y étaient enregistrées comme réfugiés en novembre 2022.

« Rester pour toujours »

Kateryna aurait pu rester en Pologne ou aller vivre en Espagne, où habite un de ses cousins, mais elle a préféré le Canada. Pourquoi ? « Je parle anglais et le Canada a un programme pour les Ukrainiens », explique-t-elle.

Rapidement, elle a obtenu, grâce à Kelly, un emploi dans une pharmacie près de chez elle. Elle place les médicaments sur les tablettes et aide le pharmacien.

« Je ne peux pas travailler comme infirmière ici parce que je ne parle pas français, explique-t-elle. Pour être évalué, apprendre le français, subir les examens, ça prend autour de trois à cinq ans. Donc, ce n’est pas demain que je vais pouvoir être infirmière ici. »

Pour y arriver, elle suit des cours de français trois soirs par semaine. Ses deux enfants, Mila, 6 ans, et Myroslav, 9 ans, vont à l’école, où ils apprennent aussi le français.

Je suis une personne positive. Je n’ai pas le choix. Ici, mes enfants sont en sécurité. Ma mère est avec moi. J’ai des amis, des gens qui m’aident. Tout va bien. Qu’est-ce que je pourrais demander de plus ? C’est mieux ici qu’en Ukraine en ce moment.

Kateryna Kotliar

Veut-elle rester ?

« Oui, répond Kateryna sans hésiter. Je veux rester ici pour toujours ! J’aime ça, ici. Je me suis fait beaucoup d’amis. Je vois beaucoup de possibilités pour mes enfants et pour moi. J’ai juste à apprendre le français. »

Donner au suivant

Kelly Conrick et François Dinel ont décidé d’aider Kateryna Kotliar et sa famille pour donner au suivant.

« C’était plus fort que moi », lance Kelly.

« Ma grand-mère était allemande et mon grand-père était roumain, raconte-t-elle. Au début de la Seconde Guerre mondiale, ils ont fui l’Allemagne et ils ont été obligés de s’arrêter en Autriche parce que ma grand-mère était enceinte de ma mère. »

Deux ans plus tard, une famille canadienne les a aidés à s’installer quand ils ont décidé de venir vivre au Canada.

PHOTO SARAH MACLEOD, FOURNIE PAR KELLY CONRICK

Kelly Conrick et François Dinel

Kelly s’est dit que c’était à son tour de tendre la main à une famille quand la Russie a envahi l’Ukraine.

Le message de Kateryna l’a touchée droit au cœur. Elle en a pris connaissance en passant par un organisme d’aide aux réfugiés ukrainiens situé à Montréal.

« Je lui ai tout de suite écrit en privé pour lui offrir un logement et de l’aide », explique-t-elle.

« Katy, comme elle l’appelle, est une femme extraordinaire. Elle est tellement travaillante, c’est fou. Ça a cliqué entre nous. J’ai deux belles-filles. Katy, c’est ma troisième fille ! »

« C’est très loin de la Russie ! »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Kateryna Kotliar, Polina Ignatova et Nataliia Yaroshchko suivent des cours du soir de français au Centre d’appui aux communautés immigrantes.

De très nombreux Ukrainiens ont été accueillis ici. Plus de 160 000 au Canada, environ 10 000 au Québec. Beaucoup d’entre eux ne retourneront pas dans leur pays d’origine lorsque la paix sera revenue.

« Pourquoi le Canada ? Parce que c’est très loin de la Russie ! »

Cette phrase, lancée par Tetiana Honcharenko, résume un sentiment largement répandu chez une forte majorité de femmes et d’hommes ayant fui leur pays depuis l’invasion de la Russie, que La Presse a rencontrés à Montréal. Il ne s’agit pas d’une enquête scientifique, mais les réponses de ces réfugiés semblent indiquer que leur exil ne sera pas temporaire et que, déjà, ils sont prêts à refaire leur vie.

« C’est sûr »

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Tetiana Honcharenko

« Ici, c’est calme, c’est sûr », se réjouit Tetiana Honcharenko, 39 ans.

Depuis sept mois, l’Ukrainienne vit à Montréal avec ses deux enfants, son mari, sa mère, sa sœur et les siens.

Son mari a été autorisé à quitter l’Ukraine parce qu’il s’occupe de ses parents malades, hospitalisés à Budapest, en Hongrie.

La famille aurait pu rester à Budapest, mais elle a préféré Montréal.

« Budapest, c’est aussi une belle ville », souligne Tetiana, qui travaille comme aide-comptable dans un hôtel montréalais. « Mais c’est plus difficile de communiquer avec les gens qu’ici. »

Ce qu’elle trouve difficile ?

« J’ai peur de ne pas avoir ma résidence permanente au Canada. On doit recommencer notre vie. On travaille beaucoup. On doit faire beaucoup de choses. Est-ce qu’on peut rester ici après ? »

« Je recommence à zéro »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Nataliia Yaroshchko

Nataliia Yaroshchko, 38 ans, était cheffe d’un département de ressources humaines, en Ukraine.

À Montréal, elle travaille dans un entrepôt de bijoux.

« Je recommence à zéro, mais ça va bien, assure-t-elle. J’aime ça ! »

Depuis juin, Nataliia vit à Laval avec sa fille de 12 ans. « C’est une bonne élève, dit-elle. Elle s’est fait de nouveaux amis. Moi aussi, j’ai de nouveaux amis, des Québécois, dont j’ai fait la connaissance au travail. »

Ce qu’elle trouve difficile ?

Apprendre le français et naviguer dans le système de santé. « Pour moi, c’est vraiment difficile d’avoir accès à un médecin, c’est un gros problème. Dans mon pays, je peux avoir un rendez-vous avec un médecin très rapidement. J’appelle dans une clinique aujourd’hui et j’ai un rendez-vous demain. Parfois le soir même. On a beaucoup de cliniques et elles sont ouvertes tous les jours et le week-end, de 8 h le matin à 9 h le soir. »

« Sans mon père, c’est vraiment difficile »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Polina Ignatova

Polina Ignatova s’ennuie de ses amis et de sa ville, mais encore plus de son père.

Elle vit à Saint-Laurent depuis juin avec sa mère et sa sœur de 15 ans. « C’est difficile pour nous de vivre sans lui », confie-t-elle, en parlant de son père qui n’a pas le droit de quitter l’Ukraine.

La famille s’est réfugiée en Pologne avant de venir au Québec. La mère de Polina, qui travaillait dans une entreprise américaine spécialisée dans la technologie, en Ukraine, a obtenu un transfert à Montréal. « C’est la raison pour laquelle on est venues », précise la jeune femme en anglais.

À 18 ans, Polina explore ses possibilités. Elle peut suivre des cours en ligne dans une université ukrainienne. Mais ce n’est pas idéal. Elle préférerait de loin aller dans une université montréalaise, échanger avec ses professeurs, fréquenter des étudiants de son âge. À Concordia, par exemple. Mais les droits de scolarité sont très élevés pour les étudiants étrangers.

Ce qu’elle trouve difficile ?

« Tout. Je vivais dans la même ville depuis ma naissance, dit-elle. Aujourd’hui, ma famille est séparée. Sans mon père, c’est vraiment difficile. Je m’ennuie de mes amis, de ma maison, des endroits où j’allais… »

« Je veux rester ici »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Iryna Abdelkafi

Iryna Abdelkafi, 43 ans, travaille dans un entrepôt d’accessoires de musique avec son mari.

« Mon anglais n’est pas très bon et mon français est vraiment mauvais », lance-t-elle, en rigolant.

« En ce moment, c’est tout ce que je peux faire. C’est OK ! »

En Ukraine, Iryna était assistante dans une université et faisait du contrôle de qualité dans un laboratoire de confiseries.

« On aime ça ici, ajoute-t-elle. Avant, je vivais dans deux pays, l’Ukraine et la Tunisie, parce que mon mari est tunisien. Mais, honnêtement, je ne voulais pas aller vivre en Tunisie. C’est un pays trop différent pour moi. Les gens sont bien, le climat est beau, mais c’est trop différent. Je préfère le Canada. »

Son mari qui a de la famille ici et qui parle très bien français rêvait de vivre au Québec.

« Je veux rester, dit Iryna. Si j’ai le choix entre le Canada et la Tunisie, je vais choisir le Canada, c’est sûr. »

Ce qu’elle trouve difficile ?

« Apprendre le français et l’anglais. Je ne parle pas très bien anglais et j’essaie d’apprendre le français, mais je ne peux pas m’exercer à parler français à mon travail. »

En savoir plus
  • 10 204
    Nombre de cartes d’assurance maladie émises pour des Ukrainiens fuyant la guerre, depuis le 24 février 2022.
    Source : RAMQ
    167 585
    Nombre d’Ukrainiens arrivés au Canada depuis le début de l’invasion russe, dont 23 385 par la frontière terrestre.
    Source : Gouvernement du Canada