Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dispose depuis plusieurs mois de données et d’analyses scientifiques supplémentaires sur le profilage racial dans ses rangs, a appris La Presse.

Leur existence a été récemment mentionnée lors d’une grande réunion entre plusieurs dizaines de cadres de la police et le nouveau chef Fady Dagher.

Le SPVM se défend actuellement devant les tribunaux face à une action collective de 170 millions lancée par la Ligue des Noirs du Québec. Le procès de trois semaines, qui a vu défiler Valérie Plante et Fady Dagher, se termine ce vendredi.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, et le nouveau directeur du Service de police de la Ville de Montréal, Fady Dagher, au moment de la prestation de serment de celui-ci, le 19 janvier dernier. Tous deux ont été appelés à témoigner dans le cadre de l’action collective.

Les débats judiciaires portent notamment sur la capacité des avocats de la poursuite à identifier correctement les victimes de profilage. À défaut, ils ont décidé d’inclure dans leur action l’ensemble des personnes racisées interpellées par la police sans être arrêtées entre 2017 et 2019, soit environ 17 000 personnes.

Pas transmis à la Ligue des Noirs

Or, les avocats de la Ligue des Noirs ne savaient pas que la police possédait une « version préliminaire » du rapport qu’elle avait commandé à un groupe d’universitaires. Ce sont ces mêmes experts qui avaient signé un premier rapport sur les interpellations policières en 2019, document sur lequel s’appuie l’action collective.

« Une version préliminaire du rapport a été remise au SPVM à la fin de l’année 2022. Toutefois, des travaux sont toujours en cours afin de poursuivre l’analyse des données et compléter la recherche », a confirmé la chargée de communications Caroline Labelle, du SPVM. Selon trois sources, une première version du document a toutefois été reçue par la police il y a plusieurs mois, au milieu de l’année 2022. « Une version finale et complète est attendue dans les prochains mois. Le SPVM s’est engagé à rendre public le rapport final. »

PHOTO PIERRE SAINT-ARNAUD, LA PRESSE CANADIENNE

L’avocat Mike Diomande et son client Alexandre Lamontagne, mercredi, au palais de justice de Montréal, en marge de l’action collective intentée par la Ligue des Noirs du Québec sur le profilage racial au SPVM

MMike Diomande, l’avocat de la Ligue des Noirs du Québec, a voulu rester prudent alors que le procès est en cours.

« C’est dommage qu’on ne l’ait pas entre les mains, parce que ça réglerait pas mal de problèmes », a-t-il tout de même commenté en entrevue téléphonique.

Malheureusement, les données sont entre les mains du SPVM. On n’a pas les données. Ça, c’est la réalité. Ce serait très facile de clarifier la donne pour tout le monde en mettant les données sur la table.

MMike Diomande, avocat de la Ligue des Noirs du Québec

Les chercheurs n’ont pas voulu commenter la situation. « J’ai mentionné au tribunal que nous avions transmis des résultats préliminaires des analyses dans le cas du deuxième mandat », s’est borné à dire Victor Armony, joint au téléphone.

Du sable dans l’engrenage

Le rapport préliminaire remis au SPVM contient une classification plus fine des statistiques concernant les milliers d’interpellations comptabilisées par le SPVM dans les dernières années, mais aussi une analyse d’entrevues menées par les chercheurs avec des policiers à propos du profilage.

Selon nos informations, les relations entre police et chercheurs seraient tendues en ce moment en raison de différends dans l’interprétation des réponses données par les policiers. Les conclusions que les scientifiques en tirent seraient trop dures au goût du service de police.

« Les échanges entre notre organisation et les chercheurs se poursuivent de façon constante et productive », a assuré la chargée de communications Caroline Labelle, du SPVM.

Le premier rapport signé par Victor Armony et ses collègues avait conclu à l’existence d’un « biais systémique très apparent » dans les interpellations effectuées par le SPVM.

« Les interpellations auprès de personnes arabes et noires sont disproportionnées, autant en tenant compte de leur poids démographique dans la population de Montréal qu’en considérant leur “contribution” relative aux infractions aux règlements municipaux et aux infractions criminelles », concluaient les chercheurs. Selon leurs calculs, un Noir a quatre fois plus de risques d’être interpellé qu’un Blanc, alors qu’un individu d’origine arabe a deux fois plus de risques de l’être.

Ils refusaient toutefois d’utiliser l’expression « profilage racial » en raison d’un manque de données sur les motifs des interpellations.

« On n’a pas de policiers racistes. On a des policiers qui sont des citoyens et qui ont des biais, comme tous les citoyens peuvent en avoir », avait réagi le chef de l’époque, Sylvain Caron, avant de commander un second rapport aux chercheurs.

L’arrivée de Fady Dagher au SPVM, le mois dernier, a remis l’enjeu du profilage racial au premier plan. Le nouveau chef a dit vouloir servir « toute la population, toutes les populations ». Il a reconnu qu’il avait lui-même effectué du profilage racial à l’époque où il était patrouilleur et que ces comportements étaient corrigibles pour la grande majorité des policiers.