Régulièrement ignorés par les élus et les responsables de la mobilité, des citoyens qui dénoncent les aménagements routiers qui encouragent la vitesse excessive des automobilistes ont souvent l’impression que personne ne les prend au sérieux. Même quand le pire arrive.

C’était le lundi 12 décembre dernier. Les fonctionnaires de l’arrondissement de Ville-Marie présentaient sur Teams leur plan local de déplacement (PLD) à des groupes d’employés municipaux et d’intervenants de Montréal.

Questionnée sur la hausse des déplacements motorisés de transit dans le quartier depuis le début des travaux du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, Annie Lambert, cheffe de division, mobilité et occupation du territoire, a répondu qu’aucune mesure de sécurisation supplémentaire n’était envisagée.

« Ça va bien. Les mesures en place fonctionnent », a-t-elle dit, selon deux personnes présentes à la rencontre, ajoutant que l’arrondissement n’avait pas l’intention de faire le décompte du nombre de véhicules sur les routes de son territoire.

On est sortis de là déçus, ça nous semblait peu.

Une personne présente

Moins de 24 heures plus tard, Mariia Legenkovska, une écolière de 7 ans, était happée à mort par un conducteur de la Rive-Sud qui pilotait son VUS dans une rue résidentielle étroite de Ville-Marie, causant la consternation au Québec.

La Presse a sollicité une entrevue avec Mme Lambert, mais notre demande a été refusée, et on nous a dirigé vers l’attachée de presse du comité exécutif de la Ville.

« La rencontre de décembre que vous mentionnez servait à alimenter les réflexions avec les partenaires pour une planification concertée ; il n’y a aucun document final à partager », signale Hugo Bourgoin, relationniste médias à la Ville de Montréal.

Jeudi dernier, les groupes Collectif : Apaisement pour Sainte-Marie (CAP Sainte-Marie) et l’Association pour la mobilité active de Ville-Marie (AMA-VM) ont pu rencontrer Sophie Mauzerolle, conseillère de la ville pour le district de Sainte-Marie, dans l’arrondissement de Ville-Marie, et responsable du transport et de la mobilité au comité exécutif.

« Mme Mauzerolle ainsi que les responsables de l’urbanisme et de la mobilité ont démontré leur volonté d’agir rapidement avec une approche systémique à l’échelle du quartier », ont-ils fait savoir à l’issue de la rencontre.

« 100 % aussi dangereux »

Cela fait des années que des groupes de citoyens réclament des aménagements qui contraignent les conducteurs de véhicules motorisés à ralentir. Si leurs demandes reçoivent un accueil poli, dans les faits, ils se heurtent à la volonté de favoriser la « fluidité » des transports motorisés dans Ville-Marie, déplorent-ils. Même après un drame.

Le 28 juillet 2019, Roger Proulx marchait près de chez lui à l’angle des rues D’Iberville et Hochelaga quand il a été happé par la conductrice d’une camionnette Honda qui faisait un virage à gauche sur Hochelaga.

Arrivée en trombe à l’hôpital après avoir été informée de la collision par des policiers, sa femme, Nathalie Cronier, s’attendait à trouver son mari en train de se faire faire un plâtre ou poser un bandage à la tête.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Nathalie Cronier

Elle a plutôt vu une personne intubée si gravement blessée qu’elle n’a d’abord pas réalisé qu’il s’agissait de son mari. Les médecins ont informé Mme Cronier qu’il n’avait plus qu’une heure à vivre.

La mort de son mari l’a « démolie », dit-elle. Un des enfants du couple a développé un choc post-traumatique qui lui fait perdre connaissance de façon imprévisible.

« Il faisait beau, en plein été, mon mari faisait six pieds deux pouces, mais la conductrice a dit qu’elle ne l’a jamais vu. À voir l’état de Roger, je pense qu’elle roulait vite, mais on ne le saura jamais car il n’y avait pas de caméra. »

Après la mort du piéton, la Ville de Montréal a aménagé des saillies de trottoir à cet endroit, et placé des traverses piétonnes en matériel rouge.

Or, le matériel rouge résiste mal à l’usure des roues des véhicules et est déjà effacé par endroits.

Dans la foulée de la collision mortelle, des citoyens ont aussi demandé que la limite de vitesse dans la rue D’Iberville passe de 50 km/h à 30 km/h ; l’axe traverse un milieu résidentiel dense. Mais la Ville a refusé, et a fixé la limite de vitesse à 40 km/h.

Chaque semaine, Mme Cronier voit des automobilistes atteindre 70 km/h dans cette rue en pente. « C’est 100 % aussi dangereux qu’avant, dit-elle. Mon garçon passe par là chaque jour pour aller à l’école. »

Roselyne Escarras, qui habite le quartier depuis des années, se souvient d’avoir été choquée du refus de la conseillère Sophie Mauzerolle d’abaisser la limite à 30 km/h dans la rue D’Iberville.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Roselyne Escarras

« J’ai dit à Mme Mauzerolle que je la tiendrais personnellement responsable des pertes de vies futures chez les résidants. Elle m’a fait savoir qu’elle n’avait pas apprécié ma remarque. Mais regardez où on en est aujourd’hui. »

François Dandurand, de l’Association piétons cyclistes de Ville-Marie, remarque qu’il y a un « immense rattrapage » à faire dans Ville-Marie, un quartier densément peuplé qui est vu comme une porte d’entrée pour les automobilistes à Montréal en raison de sa proximité avec le pont Jacques-Cartier, emprunté par 90 000 automobilistes chaque jour.

« Comparé au Plateau et à Rosemont, on est en retard sur la protection des piétons et la mobilité active en général dans Ville-Marie. On se fait souvent dire qu’il n’y a pas d’argent pour ça. Pourtant, il y a de l’argent pour plusieurs grands projets à Montréal. En plus, les policiers font peu d’interventions sur la délinquance routière ici. »

Des interdictions de virage à gauche à certaines heures ont été installées dans la foulée des travaux majeurs au tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, mais c’est trop peu, dit-il.

« Ce n’est pas assez fort comme geste. Il faut changer le sens des rues résidentielles et mettre des tête-bêche pour bloquer le transit. Sinon, on contribue à augmenter la circulation et la dangerosité pour les citoyens. »

En savoir plus
  • 62 km/h
    C’est la vitesse maximale d’un automobiliste observée au radar par La Presse rue Fullum, dans un corridor scolaire de l’arrondissement de Ville-Marie, au moment de l’entrée en classe des élèves le 20 décembre dernier. La limite dans cette rue est fixée à 30 km/h.